lundi 24 novembre 2014

Slovénie vidi vici

Bientôt quatre semaines que je suis à l’auberge espagnole slovène, dans ma bulle.

Le rythme y est quelque peu particulier. Les jours sans pluie, les durs, les hommes, quoi, se lèvent vers 7h et filent bosser dehors pendant que les flemmards (comme moi) prennent leur temps et préparent un brunch qui tue. Appelle les autres vers 10 ou 11h, qui viennent se sustenter. Un joli moment du matin, qui débute quasi systématiquement par un verre de schnaps. Le schnaps prend une place assez importante ici. Un peu dur au réveil, mais efficace ! Pensée annexe : j’ai découvert être la seule dont les oreilles font mal quand elle boit du schnaps. Les autres ont l’estomac brûlé, moi c’est les oreilles. C’est légèrement inquiétant quant à mes circuits internes.

Après le gros petit déjeuner, chacun file à sa tâche. Depuis mon arrivée, les hommes construisent une grande cabane pour loger convenablement la faune qu’ils entretiennent. Bouba la cochonne, 
Bouba la grosse cochonne
ramassée dans la rue par Lena en plein Ljubljana. Grise et poilue, déambule à sa guise et fouille le compost en grognant. Elle est très drôle. Une dizaine de lapins lapines, des poules, des canards, des paons paons, deux oies qui me suivent en permanence  en essayant de m’impressionner de leurs cous tendus, becs en l’air, mais qui s’enfuient dès que je m’approche. Couardes. Et un pigeon voyageur qui a posé ses valises et dont la tête ne me revient pas ; on ne s’aime pas beaucoup, lui et moi. Il m’attaque quand j’entre dans son périmètre, et je l’insulte bassement, ce dont, de toute évidence, il n’a cure.

La cabane de l'Amour

Les hommes sont à la cabane, donc, concentrés entre deux bières jusqu’à la tombée de la nuit. Les femmes, Rose et moi, à la cuisine, comme au bon vieux temps. Mais la cuisine, ici, se fait lentement, et tendrement. On teste des trucs, on épice, on herbe, on cuit, on frit. Et on fait des desserts. Chaque jour un nouveau. Un gâteau bananes/chocolat, des galettes des rois aux amandes ou aux noisettes, des pommes fourrées de purée de noix, une tarte au chocolat, un muffin géant bananes/chocolat, un strudel, des croissants, une tarte tatin, un gâteau au gingembre, et j’en passe. 
"Si on oublie que ça devrait
avoir le goût des croissants, c'est très bon!"
L’enthousiasme est général, toujours, et encourageant. Le seul hic c’est qu’ils veulent manger tous les jours, c'est fou ça. Avoir encore et toujours de l’inspiration, avec peu de matière première et encore moins de variété, je comprends maintenant ma mère soupirant le soir, mais qu’est-ce qu’on va manger ?... trois semaines et demi que je prépare à manger pour 5 à 10 personnes, j’en peux plus, les gars, faites-moi des pâtes au beurre et des pizzas surgelées.
Outre la cuisine, si on veut, et si on a le temps, mais on a plein de temps, on désherbe, on plante de l’ail, on casse des noix, on vernit des planches, on va faire les courses, on nourrit les animaux, on va se balader dans la forêt. Et on s’occupe du compost tous les deux jours ! Retourner les deux tas qui ornent le chemin et s’émerveiller de les sentir plus chauds à chaque fois. Aujourd’hui, on y a mis des pommes de terre à l’abri dans du papier alu, pour voir si elles cuisent. Haha.

Et quand 18h arrive, avec la nuit bien tombée, on déjeune. Autour de la table, le feu crépitant dans la cuisinière comme-chez-ma-mémé. On mange, on rigole, on écoute de la musique et on se rend compte que la dance des années 90 était la même ici que chez nous, et puis on joue parfois.

IL y a aussi les soirées où Urban a une chouette idée.
Le 1er novembre, par exemple, il a proposé très sérieusement d’aller se promener au cimetière. Fossé culturel. Le 1er novembre, les slovènes illuminent les tombes de bougies, et les gens vont se promener au cimetière en famille. C‘est étonnant, et assez surréaliste. Ce champ de bougies sur les stèles, ce silence envahissant de respect, dans la nuit.
Un autre soir, il a décidé que c’était le bon pour aller acheter des tuiles pour le toit de la cabane. On s’est enfournés à 4, à 20h, dans l’automobile, pour joindre à 40km de là, dans la pluie, le brouillard et la nuit noire, Slovenia by night, des tuiles entassées contre une grange inaccessible. En empiler 250 sur le char d’un tracteur, dans la boue, glissante, avant de les recharger dans la remorque de la voiture, couronner le tout d’un verre de vin maison à avaler cul sec (ça rigole pas) et rentrer à 30 à l’heure parce que la voiture a du mal à tirer tout ça, décharger dans le noir. Dormir.

Je ne précise pas que les tuiles, on ne les a évidemment pas déchargées à côté de la cabane parce que ce n’était pas possible. Il a fallu que je les trimballe le lendemain, de la palette au chantier, 30 marches d’escalier et une trentaine de mètres dans une pente boueuse, 250 tuiles de 1,5 kg chacune. M’est avis que c’est une punition à la Prométhée, j’ai du déplaire aux Dieux pour qu’ils m’envoient systématiquement dans des endroits où il faut charrier des tuiles.

Aussi, on est allés chercher un bébé chien dans une ville qui s'appelle Ptuj (prononcer Ptouille), autant avouer que mon humour d'enfant de 5 ans a resurgi, j'ai rigolé de ce nom pendant des heures. D'ailleurs rien que d'y penser je rigole encore, et non je n'ai pas honte de rire pour des broutilles. Ptuj, haha.

J'ai été frappée par le bon
goût slovène en matière
de décorations de Noël
Encore, j'ai passé un court week end à Ljubljana, invitée à un festival de théâtre d'impro. 4 spectacles aux frais de la princesse, oui Madame ! j'ai mes entrées. Tout était en anglais s'il vous plaît! j'ai presque tout compris. J'ai demandé aux slovènes comment et pourquoi diable ils parlaient tous parfaitement anglais, ils arguent tous la VO à la télé. Un autre m'a répondu que la Slovénie, petit pays, se devait de s'ouvrir au monde. Quoi qu'il en soit leur excellent niveau met en exergue notre mauvais, j'en ai passablement honte. Fort heureusement pour moi, j'ai trouvé la parade: je raconte avec force détails, et maintes erreurs de langue, que j'enseigne l'anglais en France, et la stupeur combinée à l'hilarité rendent mes interlocuteurs beaucoup plus tolérants à mon égard. Je suis une victime du système français, que voulez-vous mon bon Monsieur.

Vue de la plus haute tour de Ljubljana sur le château
et sa vieille ville
Bref, j'ai passé un week end théâtre à Ljubljana, entrecoupé de burek, kebab local, de chocolats chauds à la vodka (hips) et de balades solitaires dans les rues étroites. Deux jolis jours, vraiment.


Le temps passe, le temps passe! différemment, ici. La vie en communauté me ramène une dizaine d’années en arrière, plutôt agréable pour un temps déterminé, surtout avec des bienveillants. Mais, malgré toute cette simplicité et cette douceur de vivre qui se dégage de l’auberge espagnole, malgré la profonde bonté d’Urban, l’énergie de Lena, l’humour décalé d’Igor et le flegme adolescent de Rose, malgré les multiples rencontres et malgré Tchitche le chat aveugle qui ouvre les portes, il est bientôt temps pour moi de reprendre la route. Je vais aller voir ailleurs si j’y suis...

vendredi 21 novembre 2014

The Rose

Le gros moins dans l’auberge espagnole, c’est que je ne suis jamais seule, jour, nuit, whenever. Notamment parce qu’il y a une autre wwoofeuse, française, avec laquelle je partage la chambre, le lit, et le temps. Soulagée que j’étais quand je suis arrivée et que l’appréhension d’être isolée à cause de la langue a été levée ! Rose est une grande jeune femme, avec une coupe de cheveux trop cool de la mort qui tue comme ma copine Elsa, court derrière et de grandes mèches devant. Elle est née d’une famille de bouddhistes, a grandi en côtoyant un centre de méditation international, retraites et tout et tout. Elle est fille unique, a vécu le divorce de ses parents à 6 ans et a été longtemps en échec scolaire jusqu’à l’idée géniale d’intégrer le lycée auto géré de Paris. Je l’ai assaillie de questions. Dans ledit lycée, on valorise les intelligences différentes, les talents artistiques ou manuels, on propose aux élèves de nombreux ateliers d’écriture, dans toutes les matières. Dans toutes les matières aussi, des discussions, des débats, des exposés. Faire naître chez les élèves la curiosité et la confiance en soi sont les idées directrices, d’après ce que j’ai compris – et ça marche. Dans certains cas. Le lycée n’a pas d’administration : en collaboration avec les profs, il est géré par les élèves eux-mêmes, qui sont libres de s’investir ou non. Leur degré d’autonomie va assez loin pour les laisser choisir leur taux d’absentéisme. C’est tout de même là qu’est l’os car d’après Rose, la plupart des élèves ne fréquentent que très peu le lycée, et le taux de réussite au bac est la pire de France. L’entendant résumer la vie de ses camarades après la sortie du lycée, mille questions s’imposent sur la pertinence du dispositif. A discuter.

Rose, donc, est une jeune femme vachement rebelle, qui milite pour la liberté, parce que la liberté, c’est le but ultime, quoi. Elle critique la société pourrie, elle est contre l’argent, Rose, et elle est végétalienne, on peut vivre sans faire de mal aux animaux, on peut manger les graines, quoi ! D’ailleurs, elle veut sauver les lapins d’Urban parce qu’il veut les manger. Elle veut les lui acheter, les faire vacciner, et les rapatrier en France par avion mais bon, la compagnie veut pas alors elle m’a demandé de les ramener en voiture. Devinez ce que j’ai répondu. Bon, d’ailleurs, elle a pas encore demandé à sa mère mais elle va les mettre dans sa chambre, les 5 lapins, toutes façons elle s’en fout elle veut pas qu’ils meurent, au pire elle les achète et les lâche dans la forêt. Faut se battre pour ses idées, quoi, elle a un copain qui a sauvé une chèvre, pis elle peut assurer financièrement, pour ses 18 ans elle va avoir au moins 100 euros.

Rose, elle veut vivre avec la nature, avec une ferme et tout. Mais Rose, elle fait la grasse matinée tous les matins et elle me regarde préparer le brunch parce que bon, elle peut rien faire tant qu’elle a pas mangé. Alors elle traîne sa carcasse voutée du lit à l’ordinateur, et elle a un drôle de regard hagard quand elle constate j’ai encore oublié qu’elle ne mangeait ni viande, ni œufs, ni lait. Je pourrais quand même faire attention. Elle n’empoigne quelque chose que quand elle en a envie, des fois elle a envie de préparer à manger, elle met une heure à regarder les recettes sur Internet, il est 16h, elle en met une autre pour chercher si on a les ingrédients, il est 17h, elle en a trouvé mais il faut qu’elle vérifie s’il y a la quantité, il est 18h, et quand elle constate que non, elle laisse tomber et elle retourne au lit. Quand je me rends compte qu’elle a laissé tomber, tout est en vrac sur la table, ustensiles sales, et les affamés sont dans l’escalier. Ouais, nan, y’avait pas ce qui fallait.  

Rose, elle parle lentement, marche lentement, réfléchit lentement, me regarde lentement, fait tout lentement. Mais m’énerve très vite. Par exemple, quand je chantonne, elle se met immédiatement à chantonner aussi, mais autre chose. Quand elle mange, elle ouvre la bouche et je n’entends plus que ça, elle mâche, elle mâche, elle s’arrête pas pendant tout le repas, ça résonne dans ma tête, ça prend des proportions énormes parce que je ne pense qu’à ça, je ne comprends plus ce que disent les autres et dans la demi-mesure qui me caractérise, mes nerfs ne rêvent que de lui exploser la tronche contre le mur crépit.
Parfois elle a des pulsions musicales et s’acharne au jumbe, avec un rythme totalement innovant. Ma mâchoire se crispe déjà quand elle chante, mais le jumbe fait saigner mes oreilles.


A dire vrai, j’ai du mal à vivre à temps complet avec une ado de 17 ans. J’ai laissé tomber l’idée de lui parler comme à une adulte, et je ne sais pas m’adresser à une ado. Bref, je rame.

lundi 17 novembre 2014

Slovipédia

Je n'avais pas tapoté depuis longtemps, et plusieurs personnes aujourd'hui me donnent envie de m'y remettre... rapidement.

La route. The end.
La Slovénie est un tout petit pays, 2 millions d’habitants, densité de 99 habitants/km². Pour donner une idée : la France est à 112, le Rwanda à 340. On en apprend, des choses ! La moitié de la population habite les villes, peu nombreuses. Ljubljana est la capitale, principale, 3 ou 4 autres villes importantes qui, pourtant, n’ont rien de nos cités. Le relief est tout collines et forêts ! un panorama somptueux de verdure, de nature, de sérénité. Depuis mon arrivée, la forêt d’en face s’est métamorphosée (un peu comme mon avocat , mais j’y reviendrai plus tard), de verte à bigarée, elle est devenue brune…un réseau routier parfaitement entretenu mais peu dense… des routes sinueuses

grimpent les collines, et, arrivées en haut, elles s’arrêtent. Comme ça, quoi. C’est un peu perturbant quand on se balade en voiture. Mais si les autochtones minimisent la sereine beauté des reliefs, ils insistent très régulièrement sur le fait que leur pays compte 42km de côte, oui Madame. En général ils insinuent que ces enfoirés de croates leur ont piqué tout le reste, et qu’ils ne lâcheront pas un centimètre de plus, faut pas pousser quand même.

Le jour se couche plus tôt que chez vous, que chez nous, quoi, il fait nuit noire à 17h. Mais le  climat n’est pas si éloigné du nôtre finalement ; j’avais pris moult pull over et chaussettes de ski, au diable. Il fait encore bon en journée ! y’a plus de saison, même ici.

Quand au slovène, à l’instar du japonais mais pas de Gérard Depardieu, il a l’autoencéphale hautement développé et le pouce préhenseur. C’est donc un être humain comme vous et moi. Il se distingue nettement de la brute slave censée conduire des charrettes et dompter les ours. D’ailleurs je n’ai pas vu d’ours, encore, alors que bon, j’étais quand même venue pour ça.

Le slovène est aussi un peu le Georges Pérec  slave : le moins de voyelles possible dans sa langue, et qu’on ne me parle pas d’articulation. La ville contiguë est Krsko, c’est fou, non ?

Au niveau acquis sociaux, savourez, les gars : ici le smic est à 600 euros, pour 40h par semaine. Un RSA de 200euros maximum savamment calculé sur la base de je n’ai pas compris quoi. Mon niveau d’anglais s’améliore, mais c’est pas encore ça, et quand Orwell soutient que l’appauvrissement d’une langue appauvrit les idées du peuple, je le constate à mon échelle : je suis incapable de soutenir une conversation sérieuse, sur l’avenir du monde, faut faire la révolution, les politiciens sont tous pourris et tout et tout, je ne parle que du beau temps et du pigeon qui m’a attaquée. Je deviens bête, quoi. Pour compenser, je devrais utiliser ici des mots très compliqués, genre philologue ou cataplasme.

Tout ça pour dire que le cadre est beaucoup moins dépaysant que le Maroc ou le Rwanda dont j’ai foulé les sols cette année, mais tout aussi émouvant, d’une autre simplicité. Etrange, ce pays a pour moi le visage de mon frère ! la force tranquille, les mains dans la terre, les copains autour de la table, un bon repas et un jeu. Spéciale cacedédi Bro !


Pour finir en beauté, je vous annonce le baptême de mon avocat qui a enfin trouvé prénom ! Ernest a donc été baptisé hier, il mesure 21cm et a 8 belles feuilles. Il est devenu la mascotte du coin, sa fulgurante poussée en bouchant plusieurs autres…

mardi 11 novembre 2014

Dobardan

Par la fenêtre de la maison, à travers la vitre embuée, l’avocat
Mon avocat de gauche s'est trouvé un copain.
contemple la campagne slovène Il est revenu du Rwanda dans son enveloppe beurrée, à la barbe des douaniers, m’a suivi un petit tour en France, Italie, Croatie, et, lui, mon fidèle destrier et moi hibernons maintenant dans une parenthèse feutrée.

A dire vrai, je suis moins téméraire que j’en ai l’air et l’idée de me retrouver seule dans un pays inconnu, sans parler la langue et maîtrisant mal l’anglais, sans trop savoir où j’allais, m’a paniqué un tantinet. J’avais vu et revu le plan avec la rassurante Sophie, la route était simple entre l’aéroport et mon wwoofing de destination. Route 108 et pfuit, je serais arrivée. Ce qui devait arriver arriva : évidemment je pris la mauvaise direction en sortant de l’aéroport. Engagée sur l’autoroute sans pouvoir m’arrêter pour regarder la carte, j’étais beaucoup moins inquiète d’être perdue que de voir le voyant rouge de la pompe à essence me faire de l’œil. Panique à bord. J’ai du rouler trente kilomètres et dépasser deux stations fermées, jurant, suant, avant d’en trouver une qui, malheureusement, ne contenait qu’un slovène parlant slovène. Après force gesticulations et un léger agacement de la part de l’autochtone, j’ai pu remplir mon réservoir, enfin pas le mien, celui du destrier, et avoir une vague idée de ma position. Ce qui ne m’a pas empêchée de me reperdre.

Bref, je me suis arrêtée, calmée, j’ai mangé et réétudié attentivement le plan avant de reprendre la route. La suite a coulé doux, la route 108 m’est apparue comme le Graal au détour d’un bras d’autoroute et quelques dizaines de kilomètres plus tard, mis des images sur l’idée du mois à venir.

Quand j’ai demandé sur facebook si l’un de mes contacts connaissait un endroit sympa où passer du temps, un colibri a répondu Slovénie, et paradis… vendu. Sans rien préparer, juste l’accord de l’hôte, j’ai débarqué. Bon, j’ai d’abord cherché avant de débarquer, qui m’a permis de rencontrer une slovène absolument charmante. Entre autres m’avoir guidée vers ma cible, c’est elle qui a écumé les dentistes de la région pour en trouver un qui accepte bien de soigner la française sans carte européenne de sécu, elle aussi qui a pris le rendez-vous et m’a accompagnée au boucher lointain. Lointain car elle a fini par joindre personnellement un ami de ses parents à une quarantaine de kilomètres qui m’a soignée une semaine plus tard. Une montagne de muscles et de graisse, le dentiste, un rire sonore qui fait un peu flipper. Mais il ne m’a pas fait payer, sûrement pour acheter mon silence : le Père-Noël est slovène et l’année se déguise en dentiste. Chuuuut. Le tout pour saluer la générosité de ma secouriste de rencontre, la fine blonde aux yeux éclatants de bleu, au prénom de protection périodique et non, ce n’est pas Tampax.

Un lien, donc, vers l’auberge espagnole. Je gardais la surprise de qu’y trouver, et foule de différentes gens, de particuliers animaux, de la musique, tout le temps, de la nourriture et du temps, du temps, du temps… du temps pour savourer, du temps pour s’ennuyer, pour écouter, pour discuter, du temps pour échanger, partager, regarder, du temps pour penser et se dépenser, du temps pour vivre. Rien à voir avec la maison dans la prairie où le temps était optimisé, non : dans les collines slovènes, chaque seconde est précieuse à être vécue.



Dans la pièce chaude du centre maison, on n’accueille pas les gens. Quand tu arrives chez Urban et Lena, tu es chez toi déjà, tu as ta place, ils te la donnent quand tu passes le seuil. Déstabilisant. Un quart d’heure après mon arrivée j’étais déjà d’ici, et personne ne faisait plus attention à moi qu’à un autre. 5 personnes dans la pièces, Urban sur le canapé, grattant sa guitare avec force. A ses côtés la française Carola, absorbée par Kerouac. Igor assis sur le coffre du bois, contre le poêle, tête appuyée au mur, yeux clos. Ecoute. Et Lena, maîtresse de maison, travaille à l’ordinateur. Comme un autre monde.

dimanche 9 novembre 2014


Le séjour en Croatie fut doux. Lent et doux. Même si je me suis fait engueuler par un mec en maillot de bain.

Sale mec en maillot de bain.
De belles villes côtières au ralenti, parsemées de touristes autrichiens, de splendides fronts de mer et des marchands de glace partout. Une, surtout, devant laquelle nous avons hésité le dernier jour. Plantées devant le camion du meilleur artisan du coin, nous nous demandions avec entrain si nous avions de quoi nous payer une ou deux boules chacune, sujet de la plus haute importance, parce que si on prend deux boules on aura peut-être pas assez pour l'autoroute demain, mais en même temps je crois qu'on peux payer en euros donc ça passe, mais peut-être qu'il faudrait en garder pour quelques litres d'essence. "OH ! MY ! GOD !" L'assaut Janice venait de la vendeuse, elle semblait en transe avec ses cheveux noirs de jais et son tablier rose. "What a beautiful language !"... Haha. Le contraste entre le contenu de notre conversation et le fait qu'elle en trouve la forme si belle m'a rendue coite, puis j’ai pris une boule.

L'usage hésite au sujet du genre de "jaja".
Mais il est sûr qu'il n'existe pas de pluriel.
En général, d'ailleurs, nous ne nous sommes pas trop mal débrouillées, culinairement parlant. En sus du gâteau au jaja, inoubliable, nous avons déjeuné une fois les pieds dans l'eau, un autre où, au culot, dans un hôtel quatre étoiles. Oui Madame. La serveuse avait la main dans le dos, et tout ! Une heure de nos vies nous étions des reines, dégustant le poisson grillé sur son riz safrané, face à la mer. On n’a toujours pas compris pourquoi les plats y étaient à douze euros.

De petits villages abrupts et sinueux, encore! Dans un silence émouvant, des chats partout. Parfois une musique s’échappe d’une fenêtre entr’ouverte, des rues étroites et pavées, des fleurs dans les coins, des églises au détour. Et une glace.
All stars ****

Une ville morte, aussi, certainement très touristique l’été, tout était fermé fin octobre. Mélancolique fantôme, ambiance pesante.

Jolie Croatie en période off. Une sérénité différente mais bienfaisante.

Mais puisque nous n’avons au aucun problème dehors, il m’a fallu un problème de dent. La quête d’un dentiste slovène s’est soldée par des raccrochages de nez sans autre forme de procès. Je le concède : ma maîtrise des langues étrangères y est peut-être pour quelque chose, mais quand même, c’est pas urbain. Nous sommes parties pour Ljubljana, capitale de la Slovénie, avec moi râlant de ma dent. La ville me l’a faite oublier.

Centre ville Ljubljanais

Ljubljana ! Sophie et moi avons toutes deux été conquises. D’abord parce que, garées à une vingtaine de minutes du centre, nous y avons accédé par une forêt, une vraie forêt presque en centre ville ! et la ville… traversée par une mignon cours d’eau, des rues pavées bordées de cafés, de restos, de magasins sans bling bling, et puis une glace. La meilleure de toute la vie du monde entier jusqu’au ciel. Au tiramisu. On est aussi montées au château qui surplombe la ville et surprises, construit sur la roche apparente à l’intérieur, de la verdure courant sur les murs, et une vue sur la ville !... un bijou. La journée fut très belle.


Le lendemain, Sophie prit l’avion pour rejoindre Paris me laissant seule aux griffes des slovènes affamés… suspense...

mardi 4 novembre 2014

Borderline

La prochaine fois que je voyage avec une amie, j’en choisis une qui n’est pas facialement périmée sur sa carte d’identité.

Après l’Italie du Nord, cap sur le monde croate. Aucune phobie de
la frontière, trop fastoche en Europe. Au loin notre destination, après 2000km elle est douce d’être à portée ! Je stoppe devant le douanier. Trapu, l’œil doux du chien enragé, la casquette vissée sur la tête, un seyant uniforme kaki, il tend la main, et moi, l’œil hagard d’excitation adolescente, demande ce qu’il veut voir. Dans un anglais approximatif et semi-aboyant, what policemen ask you in France ? Surprise du ton et supputant que ce n’était pas mon 06, parce que j’en perdais mon anglais, j’ai demandé : Identitätkarte ? ça a du l’agacer que je passe de l’anglais à l’allemand, alors que ma plaque française. J’ai obtempéré. And ? Les papiers de voiture n’étaient visiblement pas ceux qu’il attendait. Erreur numéro 2. How many persons in the car ?... là j’étais contente parce que j’ai répondu juste. Pendant que j’arborais mon plus beau sourire en serrant les fesses, Sophie est sortie de la voiture, agacée un tantinet par le ton péremptoire de Herr Douanier, a cherché son Identitätkarte dans sa valise et lui a tendu après avoir claqué la porte, signifiant ainsi clairement qu’elle serait moins lèche-bottes que moi. Lui dit : You know it ‘s out of date ? Elle répond que Yes, I know but in France… You’re not in France. But… NO BUT BUT BUT. Park the car. Elle remonte dans la voiture en reclaquant la porte, elle est trop véner. Quel connard ce mec, t’as vu comme il nous parle, je te parie qu’il va nous demander du fric. Souris, Sophie, souris, il nous laissera passer si on reste gentilles.

Il aboie encore. Cars paper. Pas commode. Do you smoke ? Does she smoke ? Je respire et répond calmement, mais je lui mordrais bien l’avant-bras, au gentil monsieur. Nobody’s smoking in the car. You know it’s 500euros for out of date papers ? only 250 if you pay now. J’hallucine, il essaie de nous entuber, le mec. D’abord il veut nous piquer les cigarettes qu’on a pas, puis l’argent qu’on a pas non plus. You pay now or you go to Ljubljana to make other papers. Ok, we go to Ljubljana now, thank you. Elle ne veut pas payer, je suis d’accord avec elle, on fait mine de remonter dans la voiture mais il continue, Do you have some medicament in your car ? Open the luggage. J’ouvre le coffre et déballe ma valise, lui met sous le nez ma trousse de secours qui contient trois boîtes sur ordonnance en lui soutenant que tout est en vente libre. Where do you go ? why ? how many time ? punaise, ma tête tourne quand il m’assaille de questions. Are you going to a man or a woman ? je le regarde atterrée, qu’est-ce que c’est que cette question ? If I call, who will answer ? il nous prend pour des neuneus. La mer noire ? Where exactly do you go ? Give me the adress. On lui donne, il recopie sur un bout de papier pourri qu’il va jeter dès qu’on aura les roues tournées. Regarde ses potes, ils sont morts de rire. Il note encore, consciencieusement. You know you will have to pay if you’re arrested again ? You’re sure you don’t have cigarettes? No cigarettes, Mister, and if you say we’ll have to pay you surely right, you know the law of the country, not me, I trust you. It’s ok for today, you can go. Oh thank you very much, can I ask you what can we do now ? Go to Zagreb? Thank you very much for your help, goodbye.

Il tourne le dos et nous jumpons in the car, sonnées. Il avait juste envie de tester son autorité sur les petites frenchies, celui-là, mais on est pas venues là pour sucer les bites des douaniers, bordel. Alors on se détend un peu, beaucoup, et on rit, on rit, on rit, et malgré cet accueil croate particulièrement hostile, on est trop contentes d’être là. En vacances.



NDLR : Après coup de fil à l’ambassade, le monsieur du bout du fil nous a confirmé que la Croatie accepte les cartes d’identité européennes périmées de 5 ans ; bien tenté, le douanier…

vendredi 31 octobre 2014

Touchée en botte

Que le temps chargé passe vite !

Après un passage puce à Paris, amis, j’ai repris mon fidèle et rouge destrier pour partir à l’aventure par vonts et par mots. Pas seule, cette fois ! Ma délicate amie Sophie m’accompagne. Chargées de co-voitureurs aussi divers que d’été, français, québécois, polonais, par delà campagne, par delà montagne, traversant fleuves, sous les éléments plus ou moins déchaînés, nous sommes vaillamment passées saluer famille et amis en région, avant de continuer notre virée à deux, dans le nord de l’Italie, dans mon automobile, toutes les deux on sera bien.

Autant Sophie déguste l’idée de vaquer dans la botte, autant je rame à me détacher de sévères stéréotypes. Pour moi, l’italien est un tiffosi fascisant et dragueur qui parle fort, agite les bras et tombe devant l’arbitre en se roulant de fausse douleur, cruellement obsédé par l’idée de coller un carton jaune au pauvre adversaire ballant, mains sur la tête, jurant qu’il n’ a rien fait.
Ma légendaire mauvaise foi a trouvé tous les indices pour coller la réalité aux représentations, j’ai même ajouté la touche finale : entre les déambulations citadines, mythiques ou non, Venise, Padoue, Castelfranco, de jour, de nuit, mais toujours agrémentées de glaces et de pizza, nous avons pu goûter au désagréable frisson des trajets sur les routes italiennes. Sur ce point, l’italien se rapproche du rwandais dans sa perception toute personnelle du code de la route, limitations de vitesse kézako ? et lignes blanches continues inconnues au bataillon. Ils adorent, qui plus est, coller mes prudentes fesses pour les faire avancer plus vite. Ils sont fous, ces italiens.

Fort heureusement, nos haltes nocturnes chez l’habitant ont remonté la cote des condamnés. Une nuit chez la milanaise Roberta amoureuse de ses chiens, discrète et efficace, deux nuits chez une wonder familia que nous avons atteinte après la journée à Venise et
Le garage à 30e mérite bien une photo
ce p** de parking à 30e le jour… vannées, nous sommes arrivées à l’adresse entrée dans le béni GPS avec soulagement. Bagages déchargés, nous plantons devant la porte d’entrée et Sophie me fait finement remarquer que rien ne ressemble aux photos. Je vais voir le nom de la rue, elle correspond. Nous hésitons, ne comprenons pas le problème et puis… c’était piazza, pas via. Mais la ville ? Nous avons confondu avec le canton, la province, je sais pas quoi mais on y est pas, on s’est gourées, et là j’ai dit beaucoup de gros mots. J’attrape ma valise et mon avocat pour me diriger vers la voiture et là, c’est le drame. Je laisse tomber le sac contenant le pot et ma mascotte s’éclate sur le sol après un vol plané que j’aurais admiré si je n’avais pas été tétanisée, son sang de terre se déverse dans la via maudita, je tombe à genoux en levant les mains vers le ciel, POURQUOI MON DIEU, POURQUOI ?!! Je n’en rajoute presque pas. Sophie comprend ma détresse et doucement, rassemble les morceaux épars, retasse la terre, recouvre my précious avec tendresse. Et dans une lourde ambiance post réanimation, nous reprenons les 30km bonux, pressées de nous saouler du gâteau acheté devant lequel nous bavions depuis quelques heures, avant de nous jeter sur un lit confortable.

Nous sommes arrivées devant la maison encore illuminée vers 22h. Descendues de voiture, encore, déchargées les valises, encore. L’esprit demandant tranquillité, nous sommes accueillies de plein fouet par la familia, bras ouverts et trépidants, le papa, la mama, l’ado de fille, le mignon petit fils, la table mise pour le dessert typique, vous goûterez bien le vin ? et le limoncello ? Attendez, je sors le tiramisu !... et repues, bourrées aussi, juste après m’être assommée en entrant dans la douche avant d’en ouvrir la porte, nous nous sommes couchées, l’avocat convalescent veillant sur notre sommeil mérité.

L'italie du Nord se résumera pour moi aux choses remarquables de ce rapide passage: les glaces, une girafe sur un toit, un pique-nique sur la plage dans un village désert. Et cette semaine, les amis, m’a accompagnée Philippe Jaenada, Plage de Manaccora, 16h30. Pour finir et calmer votre inquiétude, à l'heure où je vous parle mon avocat se porte bien. Et moi aussi. C'est pas beau, la vie ?

samedi 25 octobre 2014

D'art d'art

Le trou de verdure où chantait une rivière, j’ai eu du mal à laisser. Quand ma voiture puissante a rugi du départ, nous avons toutes deux décidé d’y traîner encore nos savates, le long de la vallée de l’Ourch… un délicieux détour car inutile, juste pour caresser nos

sens avant de les agresser en ville. Une route sinueuse dans une campagne touchante de vieux bâtiments et d’animaux incongrus, d’arbres élancés et serrés, une campagne touchante de… silence. 
Un ciel bas mais des reflets, des ombres, tout comme j’aime.

L'animal incongru
Sur le bord de la route, à Darney, j’atteignis une étendue d’herbe encaissée dans la pierre, devant laquelle je m’étais déjà interrogée plusieurs fois. Semblaient s’ériger des sculptures étranges. Un monument tchécoslovaque, avais-je pensé initialement (non par hasard, sa ville étant siège d’un accord signé je ne sais plus quand entre je ne sais plus qui, mais il y  avait une histoire tchèque, au sujet de carnets, je crois). Le doute avait assailli mes supputations dans la mesure où un homme œuvrait la pierre les quelques fois que j’y passais. J’avais donc posé la question à Charles sur cet étrange endroit, ma lanterne avait été rapidement éclairée : un sculpteur avait acheté le lieu pour y travailler. Seul.
Fière à repasser devant la clairière dont j’avais saisi le sens, je décidai cette fois de m’arrêter. Pour voir. Voiture le long de la route, j’en descendis et m’approchai un tantinet. L’homme, cheveux grisonnants, en t-shirt malgré la fraîche bruine, casque anti-bruits sur les oreilles, en attaquant la pierre massive d’un mètre cube environ, maintenait fermement un marteau piqueur bruyant relié plus loin à une machine fumante et tressautante qui, de toute évidence, rappelait l’inventée par le fou père dans la Belle et la Bête. Oualah, j’te jure.
L’homme leva la tête. Me regarda. Le regardai. Le saluai. Il me sourit, reprit son ouvrage. J’hésitai, observai, tentai de dompter ma timidité, et j’y allai. Il releva la tête. Me reregarda. Je lui lançai ma curiosité, il me la renvoya en lançant : « Va voir ! ça va loin ! » et effectivement. Ca allait loin. Derrière la petite butte fermant la prairie, encore de l’étendue hérissée de créations. Partout, partout, de la pierre plus ou moins grosse mais plutôt grosse, taillée au marteau piqueur d’une finesse élégante, un vagin géant sur le flanc de la colline, de lourds cerceaux dévalant la pente et d’autres formes beaucoup moins reconnaissables mais aussi évocatrices, aussi stimulantes les unes que les autres.

Epoustouflée.

Je retournai voir l’homme qui m’attendait sans avoir l’air de m’attendre, arc-bouté sur son marteau piqueur, sous la pluie d’éclats de pierre. Je lui dis mon émotion, il me dit tu viens d’où. Il me dit tiens, essaie, et me met le marteau piqueur dans les mains avant que je n’aie le temps d’avoir peur. Je plie sous le poids et marteau-pique son oeuvre naissante, il est content. Tu vois, quand tu repasseras tu pourras dire que tu as participé. Personne ne vient me voir, ici.

La poitrine légère de ces images bruyantes et douces, je laissai Yves et son champs de pierre, qui aime la poésie et la douceur, qui travaille là parce qu’il ne travaille pas ailleurs. Qui ne gagne pas d’argent mais son bonheur. Et je crois qu’on s’est tous les deux fait du bien.


mercredi 15 octobre 2014

Histoire à quatre voix

Au jour du départ… je n’ai pas raconté, ou peu, un peu, la famille Ingalls et il est important. L’observation des spécimen m'a pris au moins autant de temps que tout le reste.

Caroline et Charles ont à eux deux sept décennies, deux fils de un et trois ans, 12 poules, deux coq, 4 poussins (et deux ont été mangés par le chat noir), 8 moutons moutonnes, 4 lapins et un chat (pas noir). Comptez le nombre de pattes.

Beaucoup de temps avec Caro, Junior au dos en permanence, sans soutien-gorge. Caro, pas Junior. C’est important, ça, sans soutien-gorge. Qui oserait ? je n’ai pas demandé pourquoi. Caro est très alternative, elle pense des trucs bizarres et souvent cohérents, fuit tout ce qui touche à la société de consommation, elle a pour objectif l’autosuffisance alimentaire, elle ne veut pas manger de cochonnerie. Ce que j’aime bien, chez elle, c’est qu’elle est complètement incohérente. Par exemple, elle enferme Banjo dans la chambre quand il est pénible alors qu’elle clame haut et fort le sans punition. Et puis je l’ai surprise sur facebook après avoir soupiré qu’elle devait travailler sur l’ordinateur pour une conférence qu’elle organise autour de l’école à la maison. Je l’ai vue se gaver de confiture à la cuillère alors qu’elle ennuie tout le monde avec son « sans sel et sans sucre ajoutés ». Je passe sous silence le pain sans sel et le gâteau d’anniversaire sans sucre, parce que je rejoins complètement Charles sur ce point, m’enfin, y’a quand même pas que la santé dans la vie.

Caro maîtrise, et elle n’appréciait pas toujours que je sois dans ses pattes, même si elle aime bien quand même parce que je fais tous les trucs pénibles comme peler 500 châtaignes ou nettoyer les casseroles qui ont accroché. Comme elle n’aime pas trop que je prenne des initiatives, elle aurait toujours préféré que je fasse autrement, mais ça va aller quand même. Elle a du mal à dire merci, ou à assumer de faire plaisir, alors elle râle. C’est du cinéma, c’est une gentille, au fond.

Elle était instit, dans une vie antérieure, comme d'autres en a beaucoup bavé, maltraitée par sa hiérarchie, s’est tournée vers les pédagogies alternatives. Plus précisément : elle est contre l’école et préfère élever ses fils à la maison, méthode empirique. L'enfant expérimente. Elle est partisane de ne rien imposer à l’enfant, de le respecter « comme un adulte ». Par exemple, quand Banjo tourne autour de la table en tapant sur des casseroles pendant qu’on mange, il faut le respecter. Quand il crache sur son frère, quand il me traite ou qu’il renverse exprès le panier de pommes, il faut le respecter. Il s’exprime ! Banjo, d’ailleurs, qui a toujours 3 ans et des brouettes et parle toujours en codé. Caro pense que c’est normal… je n’ose pas te dire que, sans certitude mais bien probablement, ton gosse a de sérieux problèmes orthophoniques. Banjo a environ 3 consonnes dans son alphabet. Patoto pour « Tracteur Tom » ou « popo » pour « compote » (ce qui peut causer quelque confusion), « Sola » pour « Flora » ou « pou » pour « soupe ». Répète, Banjo : « vache ». « Za ! » Et très sérieusement, elle dit que c’est fou, il arrive jamais à dire vache. Ceci dit le petit Banjo est un enfant très épanoui qui adore courir pieds nus dans la terre, enlever son pantalon et agiter son zizi quand il fait 8° dehors. Banjo connaît tous les légumes du jardin, et les outils de Papa, aussi, même si bon sang, mais non, je t’avais dit le grand niveau, c’est pas un niveau ça. J'aimerais bien revenir voir ce que ça donne, tout ça, dans dix ans.

Junior, son frère, est un enfant charmant, mais strident. Son père dit qu’il a le cri de la buse, ce qui me fait beaucoup rigoler, mais pas trop fort parce que Caro, elle a pas trop le même humour. Il ne crie pas, il s’exprime ! Il faut le res-pec-ter ! On peut le laisser s’exprimer, m’enfin, on peut quand même lui dire d’arrêter de nous hurler dans les oreilles. Caro et Charles ne sont pas toujours d’accord sur l’éducation des enfants.

Charles est super cool. C'est un grand escogriffe, dégingandé, avec des bras de vélux, mais il est super fort, avec sa ceinture serrée au dernier cran et encore elle est trop grande. Il a porté au moins 12000 tonnes de tuiles, et je n’exagère même pas. Il a globe-trotté pendant des années, seul, en stop, avant de rencontrer Caro sur Internet, mariage, maison, bébés et le voilà dans la prairie. Il est vivant, Charles, un peu plus que sa femme. Il aime raconter des blagues sur les mosellans et dire des gros mots. Voyons, Charles, on avait dit pas de gros mot devant les enfants.

Hier était un grand jour, j'ai planté mon avocat. Il avait poussé comme un champignon, près du poêle. Il devient grand.

Hier aussi, on a goûté dehors. Sur une table en bois et sous les châtaignes qui sifflaient à nos oreilles. Pain maison, confiture maison, miel maison, pommes maison, popo maison. Il faisait un temps magistral et ce moment était si doux !... J’ai pris une photo des quatre fantastiques. J’étais bien, ici, avec eux, les courges, les pommes, les tuiles, et le feu qui crépite dans le poêle quand je m’endors.

J'ai eu du mal à partir, cet après-midi. J'ai traîné ma carcasse dans cet endroit si serein en fermant doucement ce petit chapitre. Quelques jours à Paris et le prochain s’ouvre dimanche pour le début d’un périple de dix jours à deux, direction l’Italie du Nord et la Croatie. Youpi !


Avant de quitter, juste une profonde pensée pour Jeannine qui me lit et vit des choses douloureuses en ce moment. Je lui envoie plein de chaudoudoux. Une dédicace à Judith pour la raison qu’elle sait, et un câlin par anticipation à ma nièce qui a encore 4 longs mois au chaud de sa Maman <3

vendredi 10 octobre 2014

9 octobre

Voilà trois mois que j’ai quitté l’école, un mois et huit jours que je suis officiellement en dispo, trois semaines que j’ai quitté Ivry pour des expériences de wwoofing, et la pression commence à redescendre, enfin ! C’est un nouveau quotidien qui se met doucement en place, fait de découvertes perpétuelles, avec moins d’écrans et plus de douceurs, sans la boule dans le ventre du dimanche soir, en savourant juste l’ici et « maintenant ». On m’en avait parlé…

Si tu veux voir comme c'est paumé, clique ici
… neuf jours de travail auprès des habitants de la petite maison dans la prairie, et le temps passe vachement plus vite qu’à l’école. En début de journée, Caroline Ingalls me donne une petite liste et me l’explique. Deux fois. Me montre. Me donne les outils. Me rappelle. Bon, je concède : j’ai un sérieux problème de compréhension de consignes doublé d’une mémoire de poisson rouge. Ma petite liste, je dois l’annoter et la numéroter, barrer les choses faites et ne pas la perdre, sinon je fais les trucs de traviole. Je préférerais faire les trucs de raviole, avec une salade c’est super bon.

Le rulish cuisant
La semaine dernière a été lumineuse ! je l’ai donc passé dehors à , entre autres, désherber, ramasser carottes, haricots, courges, courgettes, à aller chercher du bois dans la forêt, à tondre, à tailler les herbes aromatiques, à repiquer des fraisiers …

L’activité fraises consistait officiellement à préparer une plate-bande en la paillant (avec de la paille), ne pas lésiner sur l’épaisseur de paille, puis à y faire des trous (avec les mains) espacés d’une dizaine de centimètres pour y planter les stolons coupés sur les fraisiers. Pour les novices et les écrous, un rappel : le fraisier se reproduit de manière super drôle, il lance des tiges autour de lui (les stolons), sur lesquelles se développent des racines qui s’agrippent à la terre et font un nouveau fraisier. C’est ça que je devais couper pour les replanter dans mes trous. Je me suis mise consciencieusement à ma tâche, ravie de gratouiller la terre et de manger des fraises gratos. J’étais tellement enthousiaste que j’ai subitement eu envie de faire ça toute ma vie. Je serais passée de ferme en ferme pour repiquer les fraises, me serais faite payer avec le gîte et le couvert (et des fraises), tout le monde m’aurait demandée, tellement je repiquerais super bien les fraises. J’ai donc coupé, creusé, planté, paillé comme une bête. Au bout d’une heure mes ambitions s’étaient déjà nettement calmées. Le creux de ma main saignait à cause du piquet que j’avais pris pour creuser plus facilement, la paille m’empêchait de creuser les trous correctement, les ongles que je n’ai pas étaient tout noirs et mon dé coulait. Au bout de 2h, alors ? t’en es où ? Fière comme un bar-tabac,  dégoulinante de sueur mêlée à la terre et à la poussière je venais de planter mon dernier fraisier. Caro a regardé mon travail et n’a pas simulé. J’avais caché les fraisiers sous dix centimètres de paille, oublié d’arroser, défoncé le petit piquet qu’elle avait gardé précieusement, planté des trucs qui ressemblaient vraiment trop aux fraisiers, je te jure ! mais qui n’en était pas, et pas terminé la plate-bande.  Alors la fois d’après, elle a terminé les fraises. Et moi, j’ai aidé Charles à monter les tuiles sur le toit. 4 palettes de 960 tuiles de 4kg chacune, conditionnées par 5, montées sur le toit par 5 paquets. En sachant que je manipulais 2 fois chaque paquet et qu’un enfant de 3 ans fabriquait un hangar à tracteur dans mes pattes, calculez quel poids j’ai déplacé en 3h, devoir rendu demain et que ça saute.

L’histoire des tuiles a perturbé l’équilibre cosmique, j’en suis certaine. Depuis, on se marre beaucoup moins, surtout météorologiquement parlant. La Lorraine reprend visiblement ses droits. Il pleut. Il pleut. Il pleut. J’ai donc passé mon temps à transformer les produits locaux pour qu’ils se conservent. Mise en bocaux, lactofermentation, entre autres. Mais j’ai aussi appris à faire du rulish de courgettes (poivrons, curry, sucre, miel), du chutney de courgettes (poivrons, pommes, gingembre, sucre, vinaigre), du gratin de courgettes, des beignets de courgettes et de la soupe de courgettes. Ah oui, j’ai fait des courgettes farcies, aussi. Maintenant que j’en ai mangé plus de 7 fois, je commence à aimer, mais faut quand même pas déconner. Comme ici, les choses ne se font pas à moitié, j’ai aussi épluché une centaine de kilos de pommes, avec le pèle-pommes d’abord, un engin génial sur lequel tu enfonces la pommes, tu tournes la manivelle et hop ! plus de trognon et plus de peau. J’ai consigné ledit engin après qu’il m’ait sauvagement agressée en pelant mon petit doigt qui n’avait rien demandé. Dix kilos de compote et autant de pommes séchées, un bout de petit doigt en prime et on ponctue le travail de jus tout frais… on se plaint pas.

On se plaint pas, jusqu’aux châtaignes. Un cruel châtaignier se dresse fièrement dans le jardin et darde ses lourdes branches jusque sous les fenêtres. Traître. Il faudra s’en occuper quand elles tomberont, tu verras c’est du travail ! mais c’est tellement bon. Les premiers jours n’ont vu que quelques bogues éparses. Soit. Mais un matin, le vilain nous prend par surprise et c’est, depuis, chaque jour qu’il faut ratisser les châtaignes tombées du nid et ramasser les jolies, les joufflues, au moins 200, 300, 500 ! Le temps de faire le tour de l’arbre et autant sont tombées là où tu es déjà passée. Ferme les yeux,  fais semblant de ne pas les voir et rentre, panier rempli. On pourrait faire de la confiture ? Enthousiasme généralisé. J’encoche une heure durant en pestant contre celui qui n’a pas encore inventé la machine à encocher, pourquoi mon Dieu ? Je les fais cuire. Ouf.  Mais la suite engendre les véritables problèmes :  il faut peler. Peut-être que ça n’a l’air de rien, mais pèles-en deux, tu comprendras ma douleur à en avoir pelé cinq cent. Plusieurs heures de travail pour qu'au final... Caro foire la confiture, et les transforme en marrons glacés.

Tout ça pour dire que grâce à toutes les activités ludiques proposées par les listes de Caro, je me râpe, me coupe, me brûle, me fais des bleus, des bosses (note à moi-même: ne jamais ramasser les châtaignes les yeux rivés à terre à proximité d'une table en bois), me plie de crampes et me fatigue drôlement. Je fais des nuits de dix heures et je mange (des courgettes) avec appétit. Je découvre, j'apprends, et tiens! je reprends contact. Avec les autres, avec la terre, avec mes mains. Et la (belle) vie continue…

lundi 29 septembre 2014

28 septembre.


Dix jours ont coulé depuis mes derniers fleuves. Contre toute attente, ils entretiennent le lien que j’ai avec vous et chacune de vos réactions, remarque horrifiée, encouragement, par voie écrite ou orale, ici ou là, m’a procuré un plaisir inattendu. Je découvre après coup pourquoi j’ai ouvert ces pages : une envie de partager avec vous, un peu, à ma manière, sans objectif aucun de qualité à atteindre, ce que je vis dans ce temps important pour moi. Ne pas s’attendre à ce que ce soit toujours passionnant, toujours rigolo, toujours stylé. Je ne m’astreins à aucun rendement, j’écris à mon envi.Ceci étant dit, la suite, donc, après Ned…
… un passage chez une femme magique dans un lieu magique. Une maison en bord de Loire et deux hectares de terrain, un paradis de jardins mêlés d'art.

Une visite d’Angers avec lui qui m’a commenté la sculpture de cathédrale illustrant les tables de la Loi de Noé, vous savez ? la Bible, Jésus, Dieu, tout ce qui s’ensuit, quoi.  Près de 1500km, 14 covoitureurs et mille histoires avec eux, trois de plus au tendre cinéma, deux japonais! la Loire, la Seine, la Moselle,
Un détail de la sculpture des tables de Noé

Chenonceau, des rouleaux de printemps d’automne et des amis, des câlins, des rires et des projets farfelus... une bien belle semaine, ma foi. Qui se termine par un troisième départ de Paris – c’en devient risible - en direction du grand est.

Je pars du cocon de Nancy, d’une que j’aime toujours autant malgré le temps et les événements,  dans la lumière tombante de la chaude journée. Elle m’éblouit dans les virages, la lumière, et j’hésite entre ralentir de sécurité ou y aller vraiment, franchement, pour goûter la prise de risque et jouir du tremblement de peur. Je ne vois plus le bitume ni les repères de route, je file, je fonce, je frissonne et je ferme les yeux !...
A chenonceau, ils illustrent
la fin tragique de Ned, dévoré par les rats.
… pas crédible, d’accord. Les chiens ne faisant pas de chats, bressans ou pas, je roule à 30, les fesses serrées,  les yeux plissés, priant pour ne pas basculer dans le fossé. Entre les éblouissements, cependant, je savoure la poussière soulevée du tracteur dans le champ strié, le soleil scintillant, déguste le  pont sur la petite Saône, encore enfant, au creux de son lit verdoyant. Des idées flottantes, des images d’arbres, de fleurs, des odeurs de champignons, le fantasme de quitter la ville à tout jamais pour retrouver mes racines et les sentir reprendre terre, un retour à Gaïa.


Claudon. C’est un nom rigolo, ça, Claudon. Un cheval au petit trot,  Claudon Claudon Claudon. Une riante bourgade vosgienne, comme les bonbons, au milieu de rien. Au milieu de l’essentiel. Je me sens libre et pleine de l’envie d’être ici, avec eux. Les grandes émotions, les beaux idéaux, toussa toussa. Je suis les panneaux Camping sans tomber dedans, sur les chemins terreux, forêt, jusqu’à l’orée de la clairière. Me gare à l’ombre d’une haie de séquoias géants. Une maison forestière s’impose juste derrière, bloc massif détonnant. Devant, sur un sac géant de sable, une pelle en plastique rose gît dans les mains d’un étrange enfant blond platine. Blond platine. DJ. Il me regarde fixement, ne bouge pas. L’image fugace du film Délivrance et sa musique entêtante, je trouve qu’un banjo remplacerait idéalement la pelle rose. Le sac au dos, je le salue, il ne bouge toujours pas. Banjo. A cet instant j’oscille entre 2 hypothèses : 1) il n’existe que dans mon imagination, 2) il est empaillé. Le fait qu’il ait subitement agité sa pelle sous mon nez a infirmé la seconde hypothèse, je ne suis pas aussi catégorique sur la première. Banjo a 3 ans et, à l’instar de Ned (pensée émue), il n’est pas inventable. Il marche pieds nus sur les cailloux sans sourciller, mange et bave de la terre, se jette sans prévenir dans les trous d’un mètre de profondeur et parle un charabia crypté décrypté par ses parents, ce qui semble à la fois essentiel et terriblement inquiétant. On me hèle, je me retourne et découvre la maman, le deuxième rejeton dans le dos. Elle est en train de finir de préparer le repas mais je peux entrer, si je veux.  De la soupe de poireaux et une poêlée de côtes de bettes à la coriandre. Je trouve cet accueil on ne peut plus agressif, mais je mords ma langue en regrettant d’avoir englouti le pot de caramel beurre salé offert par ma délicate amisuinière. Tu as bien reçu mon sms te prévenant de mon heure d’arrivée ? Elle répond que non, le téléphone ici ne passe pas, tous ces trucs là on est mieux quand on en est loin. Le téléphone ne passe pas, et il n’y a pas de wifi. Le téléphone ne passe pas, et il n’y a pas de wifi. Le téléphone ne passe pas, et il n’y a pas de wifi. Je
me sens sombrer dans un gouffre sans fond et le refrain funeste dans ma tête : le téléphone ne passe pas, et il n’y a pas de wifi, Gaïa me semble soudain beaucoup plus hostile que la soupe de poireaux, le retour à la terre mouillée, les arbres collants de sève, les limaces baveuses, c’était quoi cette idée de bobo à la con ?

J’avale ma salive.

Je respire un grand coup.

Et je continue, allez, l’aventure c’est l’aventure.

Maison et jardin pris de contact, magnifique de fruits et légumes débordants, de poules pacifiques, de lapins grassouillets, de moutons bêlants, les enfants dans mes pattes, le papa sur le toit, la maman m’expliquant. Même pas de rats. Soulagement. J’entrevois la lumière. Divine ?

La lumière ne marche pas, ce soir, sur ma table de chevet. Ils m’ont prêté une guirlande lumineuse et mon coin devient féérique. Mon
noyau d’avocat rwandais, organe rosé gorgé de vie, pousse doucement à mon côté. Ses bras de cure-dents et sa fente verticale lui donne un côté touchant, je l’aime, cet avocat. Un pousse de vert en son cœur, et dans 3 semaines il sera encore un peu plus grand.

Comme moi, peut-être ? Un sage m’a dit à l’oreille qu’on trouve souvent ce qu’on ne cherche pas. Je vais arrêter d’attendre et goûter de chacun de ces instants sans la pression du travail, dans la douceur de ma pousse d’avocat.

samedi 20 septembre 2014

Angers démons

La journée d’hier fut mé-mo–rat–ble. Qui a commencé la veille.

Jeudi. Un anglais à la décharge – Tristan, wwoofer Des yeux aussi vifs que bleus, éclairés de fines ridules en leurs coins. Un corps fragile de vêtements trop larges, un béret en équilibre sur un bout de tête. Un sac à dos plus lourd que lui le fait tituber. Il ne parle pas français, Tristan. Après le décès de sa mère, le cancer, il est parti de Winchester, Westminster peut-être ? pour marcher. Marcher, oublier, marcher, oublier. Avancer.  Il atterrit là, plein d’entrain, de bonne volonté, me dit qu’il veut travailler dur pour gagner some euros. Ned lui a demandé de faire brûler des tas de branches mortes dans les vignes, et moi je suis partie faire mon Tours, rentrée le lendemain.

Vendredi. Un trajet dans la campagne angevine, bonheur du petit matin… la lumière encore rasante sur les champs mûrs, sur les champs nus, le souffle léger caressant la cime des arbres. Bucolique. Madjo à mes oreilles, qui sort un nouvel album, quelle hâte! La bande son d'un très court métrage: Grand-mère se meut comme elle peut le long de la nationale. De dos, je vois à peine sa tête tant elle est courbée. Les bras écartés, le droit appuyé sur un bâton, le gauche agrippé à la laisse d’un petit chien blanc. Poilu. Soudain, sous le gilet bleu marine un peu trop grand de Grand-Mère, la jupe à carreaux, vieillotte, est victime d’un assaut vicieux de la brise, et hop ! sa culotte blanche est clou du spectacle. Une scène tendre qui sourit, comme moi, le temps d’un flash à 90km/h.

Retour à la réalité. Je descends de voiture dans un soupir à la fois contrarié de retrouver mes carcasses panachées, à la fois motivé par l’idée de les quitter. Lundi, j’ai dit.
Mais voilà que, dans un bond paniqué, Tristan me rejoint en répétant frénétiquement « He’s not clear, he’s not clear ! he’s crazy, oh my god he’s crazy ! Just go, don ‘t stay ! You’ll be ill ! », et il me raconte à voix basse, en sautant, en détails, et en anglais s’il vous plaît, qu’en entrant dans la cuisine he saw a big rat et que c’était just disgusting, que nous allions die si nous stayons, et blablablablabla… entre deux murmures horrifiés, il a évoqué aussi qu’il avait foutu le feu à la haie du champ de vignes et qu’il avait du appeler les pompiers, j’ai bien rigolé. J’ai rigolé, mais j’ai senti la conscience m’envahir, aussi. Je passe les détails du vélo dans ma tête en l’écoutant s’agiter, mais quinze minutes plus tard, mes valises étaient faites, et coincées dans le coffre de ma voiture encore chaude, la coquine. Tristan a suggéré qu’on parte sans rien dire mais il était hors de question de laisser Ned comme ça. J’ai hésité à lui dire la vérité, que nous partions à cause de l’agressive attaque de sa maison sur nos cinq sens et de celle, potentielle, sur l’intégrité de nos circuits internes. Et finalement non. A cause d’une histoire qu’il m’a racontée.

Sa Jeanne d’Arc en plâtre a toujours été là, posée sur le buffet. Quand il était malade, à l’hôpital, elle y était aussi. Avec les rats. Pendant 3 ans, les salauds l’ont utilisée comme tremplin pour accéder au micro ondes et sortir par un trou du mur. Un sac de farine par terre éventré par eux. Parce qu’ils passaient sur la poudre disséminée avant de sauter sur le buffet, Jeanne d’Arc a fini couverte de farine séchée à l’urine de rat, noire à cause des crottes. C’était dégueulasse, j’ai du frotter pour la ravoir. Ned me raconte ça d’un air furieux, désolé, mais ponctue son histoire avec l’air fier de celui qui fait les choses bien, quand même: Jeanne d’Arc était noire de farine séchée à l’urine de rat, oui, mais c’était de la farine bio. De la farine bio !...

Ce fut le délic : il n’est plus avec nous, Ned. Il est ailleurs, dans un autre système de repères, à des années lumières de notre monde ordinaire. Il évolue dans une sphère où l’on mange des yaourts périmés en mai sans s’inquiéter une seconde. Il n’est plus avec nous, Ned, mais il a ceci d’humain : une angoisse basse et lourde pèse comme un couvercle sur son esprit gémissant en proie aux longs ennuis. Cette angoisse, c’est la solitude.

J’aurais pu prendre mille photos de sa décharge intérieure, extérieure, raconter mille anecdotes ahurissantes et citer mille remarques décalées, mais je me rends compte que c’est ajouter à l’horreur de sa situation. Il n’a pas besoin d’une humiliation supplémentaire, Ned, et c’est pourquoi je lui ai menti. Parce que sa dimension ne me convient pas mais qu’il n’y peut plus rien, il ne peut plus changer. Alors, comme la précédente qui a du partir précipitamment à cause d’une amie malade, comme la pénultième qui a du partir précipitamment à cause de son enfant malade, je suis partie précipitamment à cause d’un gros mensonge que j’ai inventé juste pour lui. Ned ne mérite pas qu’on lui dise la vérité, ça changerait quoi ? il serait triste de savoir que sa maison et lui font fuir les gens, je suis certaine qu’il préfère croire aux mensonges précipités des wwoofers successifs.

Tristan et moi avons donc froidement asséné le coup de grâce à Ned qui a pris la chose avec philosophie. D’accord, merci, au revoir. Nous nous sommes retrouvés dans la voiture, comme deux benêts. Et  maintenant ?...

L’  « Et maintenant ? » a duré assez longtemps pour que Tristan m’explique qu’il avait, la veille, réfléchi sur le cas Ned et avait
Tristan et moi
trouvé l’explication, bon sang mais c’est bien sûr. Il lui avait suffi de relire la Bible qui, d’après lui, précise noir sur blanc que Dieu envoie des rats aux hommes égoïstes et faibles pour qu’ils pissent sur leur nourriture et qu’ils attrapent des maladies intestinales.  Voilà pourquoi Monsieur, votre Ned est malade. Puni par la volonté divine. Accessoirement, comme je n’avais pas possibilité de partir de mon plein gré car ensorcelée, Dieu a aussi guidé Tristan vers la décharge pour qu’il vienne me sauver des griffes du Vilain. Il lui a envoyé un rat comme signe déclencheur de notre départ précipité. Tristan m’a illuminée, je dois dire. Son énergie à croire m’a ouverte à la conscience, et je ne dis même pas ça en déconnant. J’ignore profondément pourquoi je n’ai pas claqué la porte plus tôt.

Et maintenant ? disais-je. Tristan a l’idée lumineuse d’appeler une autre hôte. Julie. Qui répond qu’elle rappelle, mais ne rappelle pas. Et puis si, nous attend. J’y emmène Tristan, ayant pour ma part en projet de finalement passer le week end à Paris. Tout ça pour ça !

40 minutes de voiture, le long des quais du colossal fleuve, fin de matinée. Un muret en brique nous sépare des bancs de sables de la Loire assoiffée. Une lumière éclatante, un bleu scintillant, la danse hypnotisante des oiseaux  et encore une simple émotion pour garnir un écrin. Je pense à mon neveu, ma nièce, qui commence à bouger dans le ventre de ma sœur aimée, et des picotis de profond bonheur dans le mien. J’ai hâte de le/la prendre dans mes bras et de caresser son petit nez.

Avant cette rencontre-là j’en ai d’autres à faire, et d’autres faites, encore, surprenantes, ce jour d’hier, que je conterai une autre fois. Mais juste avant de ponctuer : une pensée pour Ned.



PS: en cadeau bonux, le copié/collé du statut facebook de Tristan ce vendredi matin.
"Omg I had to worst night ever, after nearly setting fire to half of Angers, and having to call the fire brigade, on the most probly the eorst wwoofin farm in france, trust me their aint nothing organic about this rat infested hole, the german shepherd is fed rotten food, its ear jas been half eaten off by rats, who come to eat his food in the night, I have worked my ass of yesterday and been fed not much more than a child's portion of lasagne which im sure has been reheated from god knows when, I go to see the disease ridden farmer this morning planning to sort some shit out, their is a 20 inch rat in the kitchen, mateys home is like something off the hoarder next foor, fml, im gonna get my shit together and make like hockey player & get the puk out of here, he wants me to do some chainsaw in today any safety tips eould be welcome. The only reason im staying today is their is a nice girl called alexa who will drive me to next farm."