vendredi 21 novembre 2014

The Rose

Le gros moins dans l’auberge espagnole, c’est que je ne suis jamais seule, jour, nuit, whenever. Notamment parce qu’il y a une autre wwoofeuse, française, avec laquelle je partage la chambre, le lit, et le temps. Soulagée que j’étais quand je suis arrivée et que l’appréhension d’être isolée à cause de la langue a été levée ! Rose est une grande jeune femme, avec une coupe de cheveux trop cool de la mort qui tue comme ma copine Elsa, court derrière et de grandes mèches devant. Elle est née d’une famille de bouddhistes, a grandi en côtoyant un centre de méditation international, retraites et tout et tout. Elle est fille unique, a vécu le divorce de ses parents à 6 ans et a été longtemps en échec scolaire jusqu’à l’idée géniale d’intégrer le lycée auto géré de Paris. Je l’ai assaillie de questions. Dans ledit lycée, on valorise les intelligences différentes, les talents artistiques ou manuels, on propose aux élèves de nombreux ateliers d’écriture, dans toutes les matières. Dans toutes les matières aussi, des discussions, des débats, des exposés. Faire naître chez les élèves la curiosité et la confiance en soi sont les idées directrices, d’après ce que j’ai compris – et ça marche. Dans certains cas. Le lycée n’a pas d’administration : en collaboration avec les profs, il est géré par les élèves eux-mêmes, qui sont libres de s’investir ou non. Leur degré d’autonomie va assez loin pour les laisser choisir leur taux d’absentéisme. C’est tout de même là qu’est l’os car d’après Rose, la plupart des élèves ne fréquentent que très peu le lycée, et le taux de réussite au bac est la pire de France. L’entendant résumer la vie de ses camarades après la sortie du lycée, mille questions s’imposent sur la pertinence du dispositif. A discuter.

Rose, donc, est une jeune femme vachement rebelle, qui milite pour la liberté, parce que la liberté, c’est le but ultime, quoi. Elle critique la société pourrie, elle est contre l’argent, Rose, et elle est végétalienne, on peut vivre sans faire de mal aux animaux, on peut manger les graines, quoi ! D’ailleurs, elle veut sauver les lapins d’Urban parce qu’il veut les manger. Elle veut les lui acheter, les faire vacciner, et les rapatrier en France par avion mais bon, la compagnie veut pas alors elle m’a demandé de les ramener en voiture. Devinez ce que j’ai répondu. Bon, d’ailleurs, elle a pas encore demandé à sa mère mais elle va les mettre dans sa chambre, les 5 lapins, toutes façons elle s’en fout elle veut pas qu’ils meurent, au pire elle les achète et les lâche dans la forêt. Faut se battre pour ses idées, quoi, elle a un copain qui a sauvé une chèvre, pis elle peut assurer financièrement, pour ses 18 ans elle va avoir au moins 100 euros.

Rose, elle veut vivre avec la nature, avec une ferme et tout. Mais Rose, elle fait la grasse matinée tous les matins et elle me regarde préparer le brunch parce que bon, elle peut rien faire tant qu’elle a pas mangé. Alors elle traîne sa carcasse voutée du lit à l’ordinateur, et elle a un drôle de regard hagard quand elle constate j’ai encore oublié qu’elle ne mangeait ni viande, ni œufs, ni lait. Je pourrais quand même faire attention. Elle n’empoigne quelque chose que quand elle en a envie, des fois elle a envie de préparer à manger, elle met une heure à regarder les recettes sur Internet, il est 16h, elle en met une autre pour chercher si on a les ingrédients, il est 17h, elle en a trouvé mais il faut qu’elle vérifie s’il y a la quantité, il est 18h, et quand elle constate que non, elle laisse tomber et elle retourne au lit. Quand je me rends compte qu’elle a laissé tomber, tout est en vrac sur la table, ustensiles sales, et les affamés sont dans l’escalier. Ouais, nan, y’avait pas ce qui fallait.  

Rose, elle parle lentement, marche lentement, réfléchit lentement, me regarde lentement, fait tout lentement. Mais m’énerve très vite. Par exemple, quand je chantonne, elle se met immédiatement à chantonner aussi, mais autre chose. Quand elle mange, elle ouvre la bouche et je n’entends plus que ça, elle mâche, elle mâche, elle s’arrête pas pendant tout le repas, ça résonne dans ma tête, ça prend des proportions énormes parce que je ne pense qu’à ça, je ne comprends plus ce que disent les autres et dans la demi-mesure qui me caractérise, mes nerfs ne rêvent que de lui exploser la tronche contre le mur crépit.
Parfois elle a des pulsions musicales et s’acharne au jumbe, avec un rythme totalement innovant. Ma mâchoire se crispe déjà quand elle chante, mais le jumbe fait saigner mes oreilles.


A dire vrai, j’ai du mal à vivre à temps complet avec une ado de 17 ans. J’ai laissé tomber l’idée de lui parler comme à une adulte, et je ne sais pas m’adresser à une ado. Bref, je rame.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire