samedi 25 octobre 2014

D'art d'art

Le trou de verdure où chantait une rivière, j’ai eu du mal à laisser. Quand ma voiture puissante a rugi du départ, nous avons toutes deux décidé d’y traîner encore nos savates, le long de la vallée de l’Ourch… un délicieux détour car inutile, juste pour caresser nos

sens avant de les agresser en ville. Une route sinueuse dans une campagne touchante de vieux bâtiments et d’animaux incongrus, d’arbres élancés et serrés, une campagne touchante de… silence. 
Un ciel bas mais des reflets, des ombres, tout comme j’aime.

L'animal incongru
Sur le bord de la route, à Darney, j’atteignis une étendue d’herbe encaissée dans la pierre, devant laquelle je m’étais déjà interrogée plusieurs fois. Semblaient s’ériger des sculptures étranges. Un monument tchécoslovaque, avais-je pensé initialement (non par hasard, sa ville étant siège d’un accord signé je ne sais plus quand entre je ne sais plus qui, mais il y  avait une histoire tchèque, au sujet de carnets, je crois). Le doute avait assailli mes supputations dans la mesure où un homme œuvrait la pierre les quelques fois que j’y passais. J’avais donc posé la question à Charles sur cet étrange endroit, ma lanterne avait été rapidement éclairée : un sculpteur avait acheté le lieu pour y travailler. Seul.
Fière à repasser devant la clairière dont j’avais saisi le sens, je décidai cette fois de m’arrêter. Pour voir. Voiture le long de la route, j’en descendis et m’approchai un tantinet. L’homme, cheveux grisonnants, en t-shirt malgré la fraîche bruine, casque anti-bruits sur les oreilles, en attaquant la pierre massive d’un mètre cube environ, maintenait fermement un marteau piqueur bruyant relié plus loin à une machine fumante et tressautante qui, de toute évidence, rappelait l’inventée par le fou père dans la Belle et la Bête. Oualah, j’te jure.
L’homme leva la tête. Me regarda. Le regardai. Le saluai. Il me sourit, reprit son ouvrage. J’hésitai, observai, tentai de dompter ma timidité, et j’y allai. Il releva la tête. Me reregarda. Je lui lançai ma curiosité, il me la renvoya en lançant : « Va voir ! ça va loin ! » et effectivement. Ca allait loin. Derrière la petite butte fermant la prairie, encore de l’étendue hérissée de créations. Partout, partout, de la pierre plus ou moins grosse mais plutôt grosse, taillée au marteau piqueur d’une finesse élégante, un vagin géant sur le flanc de la colline, de lourds cerceaux dévalant la pente et d’autres formes beaucoup moins reconnaissables mais aussi évocatrices, aussi stimulantes les unes que les autres.

Epoustouflée.

Je retournai voir l’homme qui m’attendait sans avoir l’air de m’attendre, arc-bouté sur son marteau piqueur, sous la pluie d’éclats de pierre. Je lui dis mon émotion, il me dit tu viens d’où. Il me dit tiens, essaie, et me met le marteau piqueur dans les mains avant que je n’aie le temps d’avoir peur. Je plie sous le poids et marteau-pique son oeuvre naissante, il est content. Tu vois, quand tu repasseras tu pourras dire que tu as participé. Personne ne vient me voir, ici.

La poitrine légère de ces images bruyantes et douces, je laissai Yves et son champs de pierre, qui aime la poésie et la douceur, qui travaille là parce qu’il ne travaille pas ailleurs. Qui ne gagne pas d’argent mais son bonheur. Et je crois qu’on s’est tous les deux fait du bien.


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