sens avant de les agresser en ville. Une route sinueuse dans une campagne touchante de vieux bâtiments et d’animaux incongrus, d’arbres élancés et serrés, une campagne touchante de… silence.
L'animal incongru |
Fière à repasser devant la clairière dont j’avais saisi le
sens, je décidai cette fois de m’arrêter. Pour voir. Voiture le long de la
route, j’en descendis et m’approchai un tantinet. L’homme, cheveux grisonnants,
en t-shirt malgré la fraîche bruine, casque anti-bruits sur les oreilles, en
attaquant la pierre massive d’un mètre cube environ, maintenait fermement un
marteau piqueur bruyant relié plus loin à une machine fumante et tressautante
qui, de toute évidence, rappelait l’inventée par le fou père dans la Belle et
la Bête. Oualah, j’te jure.
L’homme leva la tête. Me regarda. Le regardai. Le saluai. Il
me sourit, reprit son ouvrage. J’hésitai, observai, tentai de dompter ma
timidité, et j’y allai. Il releva la tête. Me reregarda. Je lui lançai ma
curiosité, il me la renvoya en lançant : « Va voir ! ça va
loin ! » et effectivement. Ca allait loin. Derrière la petite butte
fermant la prairie, encore de l’étendue hérissée de créations. Partout,
partout, de la pierre plus ou moins grosse mais plutôt grosse, taillée au
marteau piqueur d’une finesse élégante, un vagin géant sur le flanc de la
colline, de lourds cerceaux dévalant la pente et d’autres formes beaucoup moins
reconnaissables mais aussi évocatrices, aussi stimulantes les unes que les
autres.
Epoustouflée.
Je retournai voir l’homme qui m’attendait sans avoir l’air
de m’attendre, arc-bouté sur son marteau piqueur, sous la pluie d’éclats de
pierre. Je lui dis mon émotion, il me dit tu viens d’où. Il me dit tiens,
essaie, et me met le marteau piqueur dans les mains avant que je n’aie le temps
d’avoir peur. Je plie sous le poids et marteau-pique son oeuvre naissante, il est
content. Tu vois, quand tu repasseras tu pourras dire que tu as participé. Personne
ne vient me voir, ici.
La poitrine légère de ces images bruyantes et douces, je
laissai Yves et son champs de pierre, qui aime la poésie et la douceur, qui
travaille là parce qu’il ne travaille pas ailleurs. Qui ne gagne pas d’argent
mais son bonheur. Et je crois qu’on s’est tous les deux fait du bien.
Belle rencontre )
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