C'est la fille de
l'ancienne copine du père de mon ex. Tu suis ? Je
l'ai connue
haute comme ça, ou presque, elle aimait le cheval et les bijoux
afro. Discrète et belle dans sa fière adolescence.
Elle est aujourd'hui une
Femme, une vraie, de celles qu'on admire et qu'on dessine, de celles
qui font peur et qui font de gros doigts d'honneur aux stéréotypes
de tous genres. Elle est infirmière pour Médecins Sans Frontières.
Un jour elle m'a dit que les gens lui posaient peu de questions sur
ses missions, elle pense que c'est parce que ça rendrait leur
quotidien vachement moins agréable, moins tolérable. Ça la pince
quelque part, un peu fort selon les moments, mais finalement ça lui
va de pas salir les autres de la boue qu'elle ramène sous ses
chaussures... elles les retrouve à chaque fois tout propres, comme
avant. Elle continue comme ça.
C'était facile, pour
moi, de fermer les yeux, très fort, et chanter LALALALA les mains
sur les oreilles pour pas entendre ce qu'elle a à dire aujourd'hui.
Rester tranquillement confinée dans le canapé en me plaignant de
m'ennuyer. Comme j'aurais pu ne pas lire l'article sur les
prostituées qui crèvent au bois de Boulogne, ou ne pas regarder le
reportage sur les violences policières dans les banlieues. Ça me
donne l'impression, en m'insurgeant vaguement, de faire quelque
chose ; on est d'accord, ça donne une ombre de bonne conscience
mais ça sert à rien. Sarah, elle, elle sert.
Elle profite d'une pause
pour me laisser des messages. 7 messages d'une minute pour résumer
ce qu'elle vit en Haiti, ça fait pas beaucoup pour trop d'émotions.
On lui a demandé, là-bas, de prendre un poste de Responsable
Qualité, elle dit ça pète un peu des culs mais personne sait
vraiment ce que ça veut dire. Ça fout la trouille quand on est
jamais sorti du bloc.
3 semaines de formation
et elle se jette.
Dans un gros hôpital qui
fonctionne très bien, une importante équipe d'expatriés qui bosse,
qui communique, qui pense des projets de ouf, genre devenir un centre
de formation pour jeunes médecins. Au début c'était grisant,
ambitieux, un peu la classe. Quelques semaines d'émulation,
puis Covid.
L'ambassade propose un
vol de rapatriement et plus de la moitié des expat' part.
L'intégralité de l'équipe médicale, anesthésistes, chirurgiens,
urgentistes, partis. Voilà. Tous partis. Se sont retrouvés dix
clampins pour tenir un hôpital de 300 personnes, restent de supers
médecins haïtiens mais qu'il faut encadrer et ils rament, elle
rame, ils font semblant de travailler normalement alors que tout le
monde est obnubilé par cette connerie. Le virus. Se protéger. Ils
font comme s'ils allaient travailler normalement, maintenir leurs
activités traumato, gros accidentés de la route et blessés par
balle, c'est pas un centre Covid, et ça va pas le devenir. Mais pour
pouvoir continuer à soigner ceux-là, il faut des masques, et pour
être sûr d'avoir des masques, faut les mettre sous clés parce
qu'ils se font tout chourer, savon, gel hydroalcooliques et même une
machine de réa qui coûte 1500 balles. Des cadenas. Aux portes. Si
on fait pas ça comme des connards de blancs on va devoir fermer
l'hôpital, et elle dégage : ce n'est pas acceptable d'arrêter
de proposer des soins à la communauté.
Alors ils mettent des
cadenas. Aux liens. Elle n'a plus de temps à passer avec les
patients. Plus de temps non plus, à passer avec les infirmiers, plus
le temps de les former, de leur parler, même plus le temps de se
rappeler leurs prénoms et le rapport devient dégueulasse. Méfiance,
partout, défiance un peu, ne se sentent pas protégés, manque de
masque, de blouses, de lunettes, et on peut pas leur donner tort. Y'a
pas grand chose. Elle rigole, jaune, d'avoir couru coudre en
catastrophe quelques masques, bigarrés, dans un autre centre MSF qui
a une machine à coudre. Sont démunis. Ils ont peur. Quand elle
parle, elle dit des mots qui ne sortent pas, ce désespoir de porter
la responsabilité d'une situation qu'elle ne maîtrise pas. Elle
dégage, gun sur la tempe: c'est acceptable d'avoir un rapport de
merde avec le staff, quand tu fais ce métier c'est pour garantir un
accès aux soins, pas pour te faire des potes.
J'ai du mal à trouver
le sens de tout ça... j'avais 17 ans quand je suis entrée à
l'école, ça fait dix ans que je suis soignante. Je suis pas rentrée
à MSF pour sauver le monde mais pour trouver un sens... je le
trouvais pas dans les cliniques en France où on fait des anesthésies
pour des liftings et des liposuccions mais là... j'ai pas fait ce
métier pour faire ce que je fais aujourd'hui. Je suis pas flic.
Vendredi, un autre avion
part de Port-au-Prince. La directrice des Soins Infirmiers, qui
restait, le prendra. Ses deux parents sont atteints du coronavirus,
dans le coma, ils meurent. Sarah prendra sa place.
127 personnes sous ma
responsabilité. Ça demande une expérience que j'ai pas, des
compétences que j'ai pas... alors là, bah... alors là, autant te
dire... bah moi je… je sais pas. Je dors déjà pas beaucoup, je
pleure pas mal, et le pire c'est que j'ai commencé à faire un truc
qu'est pas bon. Je compte les semaines. Quand t'en es là c'est que
c'est la merde...
Elle en a fait 9. Il en
reste 14. Dehors, les jeunes jouent avec des mitraillettes.

Bon, ben.. voilà.. ça calme ! Et puis ça reste un peu en travers du gosier, aussi, et c'est fait pour. Respect.
RépondreSupprimerSacrée nana!
RépondreSupprimerje pensais que se serais dur, mais pas jusque là, dommage que msf n'est pas voulu de moi, j aurais pu faire cette mission, on aurais ramer mais a 2 des fois c'est moins dur.
RépondreSupprimerje pense a toi, et j'espere te revoir bientot, je n'est toujours pas vu ta cuisine!!
tiens bon ma belle on t'aime
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