mercredi 6 mai 2020

Au temps du Corona - Delphine, Lyon, France



Je connais le Phoénix, en vrai. 
Il a les yeux d'une tendresse infinie et la coupe au carré, les bras peints de tatouages et la voix douce, mais ferme. Il est discrètement généreux, et pudiquement présent.
Le phoénix est une femme, et il s'appelle Delphine. Des années de galère, ses filles sous le bras et le frigo vide, elle a bataillé pour sa survie et celle de ses lionceaux. Elle avait pas la forme quand je l'ai connue, mais sa force et sa rage l'ont tenue droite, toujours. Elle a menée ses combats, personnels, professionnels, et elle l'a gagnée, sa guerre ! Elle bouillonne encore de projets et d'envies, fait de chaque difficulté un pari. Delphine, c'est mon héroïne.

Elle est confinée avec ses deux filles depuis le 17 mars, dans son appartement lyonnais. Son quotidien d'assistante maternelle est bouleversé, du lever au coucher, il a fallu tout réorganiser, entre travail et école à la maison. Sur les deux enfants qu'elle accueille à temps complet, l'une a été confinée d'office dès le premier jour, black out, mais le second continue de venir, largué chaque matin par ses parents qui travaillent à la maison. Delphine ça l'agace un peu, et elle ose pas dire qu'elle préférerait qu'il reste chez lui. Dur dur de gérer le petit et ses deux grandes. Y'a des jours où ça va, et d'autres moins, parfois les filles se lèvent de mauvaise humeur, faut s'adapter... mais Delphine est une maman de compèt. Elle puise dans ses réservoirs et sort sa baguette magique pour mobiliser ses filles sur ci ou ça, sur d'hilarants remakes des clips de maître Gims ou sur la classe qu'elle assure. Elle assure, la classe. Grâce au super travail des maîtresses qui font des vidéos Youtube et des cours en visio, et surtout, surtout, qui lancent des défis adorés des filles.


Papier toilette, épluchures de crayons, boîtes à chaussures, tout ce qui passe se découpe, se colle, se plie, se transforme en mondes fantastiques et les imaginations soulèvent les 4 murs des confinées! Leur créativité n'avait jamais été si bouillonnante, si ingénieuse, si joyeuse. Et puis ça permet, faut le dire, de faire du tri, du rangement, dans les commodes et les placards, ça déballe, ça virevolte, ça classe, ça jette, ça joint l'utile à l'agréable. Dur d'imaginer que d'autres tournent en rond quand on voit pas ses journées passer !


Mais quand même, les 3 princesses se sentent un peu seules dans leur donjon. La vie ne jaillit plus des rues, le temps s'est arrêté. Loin du monde. Le prince charmant confiné chez lui, à 50 km, et Delphine se languit. Ils se voient beaucoup, d'habitude, profitent des temps avec et sans enfants et là c'est grand blanc. Un manque. Ils s'appellent dès qu'ils peuvent, tôt le matin, tard le soir, à la pause pipi, entre deux boules de papier mâché, à l'heure du café et à celle du digeo... la semaine dernière, il a craqué, et débarqué, sur son fidèle destrier. Ils ont passé deux jours ensemble dans un cocon, un coconfiné, mais en vrai c'est pas trop leur truc. Ils ont tourné en rond. Tourné, tourné, tourné, et zuiiiiing ont profité de la force centrifuge pour gicler de la réalité et faire jaillir les idées, leur prochain premier resto, leur prochain premier week-end, leurs prochaines premières vacances et même pas loin, on s'en fout! A califourchon sur leurs rêves ils se sont projetés dans l'Après.

Après, c'est aussi quand tous les événements familiaux qu'elle attendait impatiemment seront reprogrammés. Quand sa cousine pourra repenser à son mariage annulé, auquel Delphine était témoin. C'était dur, d'accepter de repousser ce qui est réfléchi par tant de proches depuis tant de temps, à cause du pire truc qui puisse arriver au monde... mais tout le monde va bien, dans sa famille, et c'est le principal. Le mariage est décalé d'un an ou deux, et puis l'espoir se porte sur les vacances d'été. Ensemble. En attendant, nécessité de trouver d'autres moyens, de se parler autrement, des appels famille en visio tous les deux jours, avec sa mère, avec sa sœur et sa nièce, avec sa mère, sa sœur et sa nièce, avec la sœur, sa nièce et sa cousine, elles ont été jusqu'à 8 à se parler, de toutes façons ça ne marchait pas à plus de 8. Des apéros, des baccalauréats comme on faisait à l'école, elles ont toujours quelque chose à se dire et on rigole de bêtises, de choses simples, une grimace peut nous tenir 5 minutes et finalement tout ça, c'est émouvant... on se parle plus maintenant en visio qu'en temps normal, où on ne prend le temps de rien... c'est vraiment top.

Elle dit beaucoup ça, c'est top. Elle veut voir le monde en positif, toujours, le calme des rues qui lui a permis d'ouvrir enfin les fenêtres sur la rue, les légumes qu'elle a pu aller chercher au jardin partagé, la joie de ses filles, la présence indéfectibles des siens et puis... elle finit par évoquer le pique-nique et le match de foot qu'elle a vus organisés malgré les consignes, et les gens qui vont dans les parcs en sautant par dessus les portails cadenassés. Elle décrit la saleté des rues, et les remarques qu'on lui fait lorsqu'elle sort avec ses filles faire les courses... des enfants, dehors ?... elle raconte surtout ce qu'elle a vu à Carrefour ce premier week end de confinement. Choquée , profondément, par ceux qui se battaient pour un paquet de farine, des chiens enragés sur un morceau de viande, et elle est restée plantée là, dans les rayons, à plus savoir que faire devant l'impressionnante bêtise humaine. Dégoûtée. Effarée. Effrayée de constater que les gens deviennent fous, elle dit si un jour ça devient plus grave ils vont se manger entre eux. J'ai peur.

Elise et Manon me laissent un petit message, de leurs petites voix de petites filles. « Bonjour Alexia, on espère que tu vas bien, nous on va hyper bien, on est sages, et on est confinées. » Elles n'ont pas peur, elles. Elles savent que dans ce monde qui marche sur la tête, Maman est là, chaque jour, qui veille.

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