mardi 12 mai 2020

Au temps du Corona - Alexia, Charinaz-le-Bas, France


J'ai remis le pied dans un monde qui aurait une roue voilée. Ça tourne bancal.

Je voyais mon retour comme un splendide feu d'artifice, pétaradant d'émouvantes effusions et aveuglant de victuailles franchouillardes ! Un banquet à la gauloise, le sanglier, le barde, les copains, le bonheur, quoi. L'explosion a finalement duré deux fois quelques minutes... tout s'est passé dans du velours. J'ai glissé doucement dans le retour, ici, et j'ai trouvé un autre bonheur, surprenant et discret. Isolé. Avec mon blagueur de frère et sa douce flamme, sa douce femme, ma pétillante nièce et son fringant Doudou Bêêê qu'on appelle Doudoub, entre nous. 5 semaines au rythme de l'Enfant, levers, repas, fromages, couchers à heures presque fixes. Et entre les essentiels, j'ai gardé la flegme laotienne des dernières semaines, à vagabonder, beaucoup, entre le canapé super confort et le banc ensoleillé, entre le plan de travail et les sentiers forestiers, seule ou accompagnée. Lire, écrire, aller voir les chevaux, écouter les oiseaux, aller voir les chevaux, cuisiner, appeler les copains, faire des clips débiles, aller voir les chevaux. Ma nièce aime beaucoup les chevaux.

Je suis aussi restée plantée, beaucoup, beaucoup de temps devant les écrans, puisque tout passe par eux. Le lien à l'autre, à l'actualité, à la culture, à la création. Un jour, de rage, j'ai pris la décision radicale de désormais partir en forêt sans mon téléphone, et donc sans Maps.me. Très fière de moi, j'ai pu tourner en rond deux heures, en étant sûre d'être déjà passée par là, ah mais oui, mais finalement non, c'est quoi cet arbre? oh l'insecte de fou!... j'ai découvert toutes les splendeurs que j'admirerais naturellement si j'avais fait dix mille bornes pour être là... le pissenlit. J'ai découvert le pissenlit, vraiment. A quel point il est parfait. Imagine que chaque pétale que tu prenais pour un pétale est en fait une fleur avec un pistile... sur la boule d'étoiles, chaque graine délicatement accrochée à la base laiteuse est surplombée d'un parachute de dentelle qui lui permet de se porter loin quand le souffle vient la détacher. Je reste béate d'admiration devant tant de merveille.

Mes aspirations révolutionnaires ne se sont pas cantonnées là, j'ai aussi cuisiné l'ortie sous toutes ses formes en essayant sincèrement de nous convaincre tous les 4 que c'était pas dégueulasse (en vain), et j'ai arrêté de m'épiler. Voilà à quoi je ressemble vraiment sans les injonctions patriarcales, j'ai des poils sur les jambes et sous les aisselles, et j'assume à 100%. Tant que personne ne me voit, quoi.  L'idée du regard pose les questions existentielles: puis-je être séduisante, poilue ? suis-je aimable, poilue? Suis-je encore une femme, un être humain? et l'existence même de ces questions m'amène à ma réponse, collabo. Mon doigt d'honneur ne résistera pas et je retournerai sagement dans le rang. Sans poils, et sans orties.

Pour oublier ma veulerie, je continuerai de m'abreuver de toutes ces émissions assez politiquement positionnées, passionnées, hurlant de rage et pleurant d'espoir; je garderai l'impression de participer à la construction d'un renouveau, le tout en cherchant un CDI confortable et une maison avec baignoire. Toute cette hypocrisie que les gens comme moi ont à beugler sur les toits qu'on vit un monde pourri alors qu'ils sont terrifiés à l'idée qu'il s'écroule vraiment... c'est dégoûtant.

J'avais quitté Lyon il y a six mois, fraîche et innocente. Je reviens dans la ville masquée, aussi tourneboulée que moi. Nous sommes tous sur une bordure, temps de prendre des décisions. Je vais déjà provoquer mon propre changement. A défaut de refaire tourner le monde droit, peut-être que moi, je retrouverai un axe?

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