mercredi 13 mai 2020

Au temps du Corona - Sylvaine, Nantes, France


Son rire éclatant qu'elle encadre de fossettes et surligne de ses yeux perçants. Confiné.
Sa vitalité qui déborde sur les conventions sociales. Confinée.
Ses touchantes maladresses. Confinées.
Sylvaine. Confinée.

Un 19m² dans le centre ville de Nantes qu'elle a optimisé comme une vitrine Ikéa et elle est bien, là. Sylvaine est un concentré d'essentiel, tout ce qui est hors d'elle est superflu. D'aucuns diront qu'elle est instable, à voguer de ville en ville avec ses 3 cartons, moi je pense plutôt que le monde est chanceux de voir ses graines de vie disséminées à droite à gauche.

Le confinement, elle l'a accueilli comme un grand bol d'air. Elle l'a attaqué de front, au chômage partiel, à grand coups de siestes et de séries pourries, franchement ça fait du bien. Une pause salvatrice dans le quotidien trop rythmé de son travail de prof à plein temps et d'un master à terminer.
Elle dit a postériori, quand même, que c'était ptêt une sorte de déni, ce bizarre sentiment de liberté alors qu'elle était enfermée, comme si, focalisée sur elle, envie de voir personne, de s'occuper enfin d'elle-même, elle ne voyait pas ce qui se passait dehors. Elle a profité deux semaines, tranquille, et poussée par la faim elle est sortie. Elle pose un regard étonné sur la ville, c'est joli dehors.

Mais dehors aussi, le monde en stress et la voisine suspicieuse, vous sortez souvent non ? Le mec au supermarché Vous êtes trop près de moi !! et les masques, et le gel, et la méfiance étouffante. Dehors, le monde en stress et Sylvaine est une éponge, ses pensées s'emballent et l'oppressent, il faut qu'elle rentre chez elle, il faut qu'elle coupe. Envie de ne plus voir personne, s'autosuffire. Chez elle, elle pense et tourne, et vire, elle lit, elle visionne, elle se demande comment on est arrivés là, qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi j'accepte sans broncher de signer une paperasse pour sortir de chez moi ? Elle lit des pages et des pages anarchistes, on doit changer de monde, elle dit. Ses étudiants, adultes, immigrés, réfugiés, apprenant le français, la bombardent de messages, angoissants, angoissés, dégoulinants de vidéos complotistes et Sylvaine rassure, son énergie fuit comme dans une passoire. Elle reçoit beaucoup plus de messages qu'avant, l'enfermement pousse au lien numérique et même de gens qu'elle connaît peu elle reçoit des essaims de plaintes qui la piquent et piquent et piquent. Elle se sent vampirisée par l'asaut d'angoisses qui ne lui appartiennent pas et c'est trop pour elle. Son enfer, là, c'est les autres et elle veut pas. Elle commence à filtrer. Parce que le confinement grossit comme une loupe les émotions, elle doit aussi protéger les siennes.

On lui propose de télétravailler. Pas d'obligation. Elle se tâte et accepte. Parce que ses étudiants sans le collectif du cours de français sont complètement isolés, parce qu'ils ont peur, loin de leurs repères, loin de chez eux, parce qu'ils ont besoin d'elle pour apprendre, parce qu'ils sont en demande. Parce qu'elle a besoin de se sentir utile et aussi, soyons honnêtes, parce qu'elle gagnerait plus à travailler qu'à continuer de glander, et elle culpabilise parce qu'elle pense que les sous, c'est mal. Elle accepte le télétravail, le ventre en vrac tordu par l'idée qu'elle trahit ses idéaux, en acceptant de satisfaire encore un système dont elle ne veut plus.

Les étudiants n'ont pas d'ordinateur. Ils ont WhatsApp. T'as déjà enseigné par Whatsapp toi ? Tout est à inventer, et c'est à la fois excitant et angoissant, cette possibilité de tout faire, tout imaginer, tout fabriquer, elle adore ces challenges qui ponctuent sa vie, qu'elle relève toujours et qui la grandissent chaque fois un peu plus. Cette fois-ci, cette fois encore, elle se heurte aux limites qu'on lui impose et elle rumine, pense que ce sont les siennes. C'est dur. Elle voudrait donner tellement plus.

Ses journées sont pleines. Elle n'a personne à gérer, pas d'horaire, elle essaie de s'organiser dans ce monde désorganisé. Elle jouit de cette heure quotidienne dehors, qu'on lui accorde généreusement, elle profite d'en avoir encore le droit, sait-on jamais... elle rencontre en cachette, résistante, son amie voisine, question de survie... elle sent parfois, un peu, beaucoup, la piqûre de la solitude. Elle pleure pas, mais un câlin, ça serait pas de refus.

Six semaines dans 19m², centre de Nantes. Elle m'a raconté tout ça en riant, à son habitude. Sylvaine a le pouvoir magique de tout alléger. Elle transforme sa petite surface en grotte intime, elle dit qu'elle va bien par rapport à d'autres ! elle ne tourne pas en rond, mais son cerveau, si, un peu... il commence à divaguer. Il la mène, la nuit, au cœur de contrées lointaines et sauvages, dans des jungles touffues ou sur des rues arborées, des mondes, quoi, où l'on peut sortir... sans autorisation.







1 commentaire:

  1. Magnifique portrait, comme d'hab, mais plus encore... Des préoccupations du ccnfinement que j'ai ressenties aussi au fond de ma campagne. J'adore.

    RépondreSupprimer