Chers vous tous,
Je suis partie hier de mon Paris d’adoption pour un périple
aventureux aux quatre coins de France, de Navarre et d’Europe de l’est. L’idée
ne m’avait effleurée de partager l’expérience autrement que par téléphone avec
ceux qui ont un forfait illimité principalement, mais face à mes découvertes
bouleversantes se succédant depuis hier soir, il me semblait criminel de
garder cet endroit inconnu du grand public. Dans ce chemin qui
porte le nom de rasoirs pour hommes, la perfection au masculin s’incarne chez
un homme que nous appellerons Ned, pour préserver son anonymat et l’égayer un
chouilla. Il accueille des Wwoofer, c'est-à-dire qu'il offre gîte et couvert en échange de menus travaux.
Je suis arrivée à Angers hier vers 18h, ponctuant 3h30 de
voiture transpireuses par la traversée d'une ville où les gens se balancent de la peinture sur la figure. Typique. Comme je maudissais ce nanaze de Tomtom qui ne trouvait pas ma
destination (ou alors c’est moi qui n’ai pas su suivre ses indications, mais
faut dire qu’elles étaient pas claires), j'ai passé un coup de fil à Ned qui me
répond que mais si, faut avancer, il habite là où il y a quelques voitures, et un van dans
l’entrée.
La vue de ma chambre |
Doux euphémisme.
J’ai du user de mes talents connus et reconnus en termes de créneaux impossibles pour caler ma Clio entre deux épaves, et entrer dans la propr… décharge. Je n’avais jamais vu ça. Des voitures, des voitures, des voitures, des pneus, des outils rouillés, un vélo elliptique, des fours cassés, et des bouts de trucs coinçant des bidules pour pas que ça tombe sur les machins, mais ça on va y ranger ça sera mieux après. Ned me fait très gentiment entrer dans sa cuisine. Je bloque sur le seuil. Un bourdonnement de mille mouches s’affairent dans l’espace réduit où une odeur âcre m’attaque les narines. Une odeur de vieux, de moisi, une odeur aigue qui pique partout. Mes yeux horrifiés ne savent plus où se poser, sur les rouleaux de scotch enfilés sur les ampoules d’un lustre mort, sur la pile de livres « Le vrai visage de l’Islam » posée en équilibre au coin d'un carton de boîtes d’œufs en fouillis,
La cuisine... |
Ned a 56 ans. De petites moitié d'étoiles sous ses yeux fins, et très bleus. Une ride
étrange lui barre le front en oblique, il doit avoir des soucis tordus. Un
nez aquilin (j’aime bien ce mot), une peau lisse de quartier. Il entretient la barbe de 3 jours, celles des beaux gosses, mais il lui manque plein de dents alors l'effet est moins réussi. Des cheveux
blancs qu’il coiffe consciencieusement sur le côté, la raie à gauche, BCBG. Ses
ancêtres étaient de grands propriétaires terriens, à Ned, il descend de la
noblesse mais vous savez, l’ascenseur social marche dans les deux sens
malheureusement. Ses parents étaient très pauvres, mais 75% des français de
souche sont descendants d’Hugues Capet, on peut voir ça sur www.capet.org,
allez-y vous verrez !
Avec Ned, on a défriché un petit coin où il veut planter des
semis et mettre un tunnel, mais chez nous on dit chenille. On a coupé des
branches d’un magnifique figuier, et puis on a trouvé tout un squelette. Oh, ça
c’est un poulain qu’un connard a fait crever parce qu’il s’en est pas occupé,
quand j’étais dans le coma. Ned, il en a croisé, des salauds qui ont vécu chez lui sans le payer, qui lui
ont fait croire qu’il gagnerait plein d’argent, ou qui lui ont volé des trucs.
C’est les manouches, ça, qui volent les trucs ; ils rentrent dans les
maisons et ils prennent tout ce qu’ils peuvent revendre. Les arabes c’est moins
pire, d’ailleurs y’a un turc qui est venu ici, il était sympa.
Avec Ned, on a chargé sur la remorque les pneus qui recouvraient
feu le poulain, et on est allés à la déchetterie. Bon, faut pas avoir peur, je
conduis bien même si j’ai pas mon permis. Ils ont jamais voulu me le donner
mais comme je me suis jamais fait piquer !... Y’a un connard qui avançait
à deux à l’heure, Ned était sûr que c’était une femme, même si bon, il est pour
les femmes, lui. Faut dire qu’un intérieur sans femme, c’est pas pareil. Une
fois il est entré dans un cabinet d’avocats femmes, ben c’est différent, ça se
voit, quoi. Mais sa femme à lui, c’était une belle salope qui l’empêche encore
de voir ses quatre enfants depuis 17 ans, et ça le rend malade, il y pense
tout le temps. Ned, il a le droit que de souffrir et de mourir, il dit. Pourtant
il est intelligent, il a 6000 livres chez lui alors que elle, elle doit en
avoir 2. Mais vous me direz, ça empêche pas de décartonner quand même,
l’intelligence, parce que sa mère à lui elle était pas conne, ben elle a chopé
l’alzeimer et elle yoyottait vachement de la touffe.
Bref, on a bossé au moins quatre heures aujourd’hui,
entre les siestes et les repas. Je travaille mon self contrôle et mon ouverture
d’esprit. A midi, j’ai dit à quelqu’un que je tiendrai les deux semaines, mais
depuis
"Tout est mangeable!" |
Le nid de frelons asiatiques |
Malgré (ou grâce à ?) tout cela, je vais vraiment bien,
terriblement soulagée d’avoir quitté Paris malgré ceux qui s’y trouvent et que
j’aime, et bigrement fière d’avoir mis ma vie rangée de côté pour partir à
l’aventure. Je suis un peu l’Indiana Jones des temps modernes, quoi ! et
sur le pare-brise poussiéreux des autos déglinguées, LIBERTE, J’ECRIS TON
NOM !
J'ai découvert ton blog grâce à Atalanta et je dois dire que je le trouve très bien écrit ET super drôle ! Merci de ces anecdotes croustillantes, Ned est désormais mon personnage favori de la semaine. A bientôt :)
RépondreSupprimerJe commence du début pour mieux comprendre ton histoire. D'angers au Laos tu a fait le choix de sortir de ta zone de confort, d'affronter le monde avec courage. Ces écrits peuvent servir toutes celles et ceux qui transitent vers plus de sens dans leur existence
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