lundi 15 septembre 2014

Attention, d'Angers!

Chers vous tous,

Je suis partie hier de mon Paris d’adoption pour un périple aventureux aux quatre coins de France, de Navarre et d’Europe de l’est. L’idée ne m’avait effleurée de partager l’expérience autrement que par téléphone avec ceux qui ont un forfait illimité principalement, mais face à mes découvertes bouleversantes se succédant depuis hier soir, il me semblait criminel de garder cet endroit inconnu du grand public. Dans ce chemin qui porte le nom de rasoirs pour hommes, la perfection au masculin s’incarne chez un homme que nous appellerons Ned, pour préserver son anonymat et l’égayer un chouilla. Il accueille des Wwoofer, c'est-à-dire qu'il offre gîte et couvert en échange de menus travaux.

Je suis arrivée à Angers hier vers 18h, ponctuant 3h30 de voiture transpireuses par la traversée d'une ville où les gens se balancent de la peinture sur la figure. Typique. Comme je maudissais ce nanaze de Tomtom qui ne trouvait pas ma destination (ou alors c’est moi qui n’ai pas su suivre ses indications, mais faut dire qu’elles étaient pas claires), j'ai passé un coup de fil à Ned qui me répond que mais si, faut avancer, il habite là où il y a quelques voitures, et un van dans l’entrée.
La vue de ma chambre

Doux euphémisme.


J’ai du user de mes talents connus et reconnus en termes de créneaux impossibles pour caler ma Clio entre deux épaves, et entrer dans la propr… décharge. Je n’avais jamais vu ça. Des voitures, des voitures, des voitures, des pneus, des outils rouillés, un vélo elliptique,  des fours cassés, et des bouts de trucs coinçant des bidules pour pas que ça tombe sur les machins, mais ça on va y ranger ça sera mieux après. Ned me fait très gentiment entrer dans sa cuisine. Je bloque sur le seuil. Un bourdonnement de mille mouches s’affairent dans l’espace réduit où une odeur âcre m’attaque les narines. Une odeur de vieux, de moisi, une odeur aigue qui pique partout. Mes yeux horrifiés ne savent plus où se poser, sur les rouleaux de scotch enfilés sur les ampoules d’un lustre mort, sur la pile de livres « Le vrai visage de l’Islam » posée en équilibre au coin d'un carton de boîtes d’œufs en fouillis, 
La cuisine...
ou sur le Jésus en plâtre, un bras manquant, l’air délabré de constater le critique de la situation.  Je me faufile entre les montagnes de tout mais surtout de rien, sales de toutes façons, menaçant l’avalanche (dans ce cas, il paraît qu’il suffit de faire pipi pour savoir quel côté creuser et retrouver la surface, c’est bon à savoir), qui laissent un maigre passage pour accéder à la table. Un tas géant de médicaments en cache la moitié, la seconde étant jonchée de pain rassis ou moisi, les deux mon général, d’un paquet de pâtes éventré (encore ces connards de rats), d’une tarte aux pommes racornie sur une nappe tachée, mais faudrait enlever tout le bordel pour la changer et Ned n’a pas la force. Sur la cuisinière noire de crasse bulle une confiture gluante. Ned n’a pas l’air très à l’aise, il se dépêche d’expliquer que sa salope de femme a provoqué chez lui un diabète extrêmement grave qui l’a précipité dans le coma pendant 4 mois, a fait fondre ses muscles et lui a ôté toutes ses forces. J’ai cru que je n’allais jamais remarcher. Regardez, j’ai une pompe à insuline, soulève sa chemise et me montre son ventre.

Ned a 56 ans. De petites moitié d'étoiles sous ses yeux fins, et très bleus. Une ride étrange lui barre le front en oblique, il doit avoir des soucis tordus. Un nez aquilin (j’aime bien ce mot), une peau lisse de quartier. Il entretient la barbe de 3 jours, celles des beaux gosses, mais il lui manque plein de dents alors l'effet est moins réussi. Des cheveux blancs qu’il coiffe consciencieusement sur le côté, la raie à gauche, BCBG. Ses ancêtres étaient de grands propriétaires terriens, à Ned, il descend de la noblesse mais vous savez, l’ascenseur social marche dans les deux sens malheureusement. Ses parents étaient très pauvres, mais 75% des français de souche sont descendants d’Hugues Capet, on peut voir ça sur  www.capet.org, allez-y vous verrez !

Avec Ned, on a défriché un petit coin où il veut planter des semis et mettre un tunnel, mais chez nous on dit chenille. On a coupé des branches d’un magnifique figuier, et puis on a trouvé tout un squelette. Oh, ça c’est un poulain qu’un connard a fait crever parce qu’il s’en est pas occupé, quand j’étais dans le coma. Ned, il en a croisé, des salauds  qui ont vécu chez lui sans le payer, qui lui ont fait croire qu’il gagnerait plein d’argent, ou qui lui ont volé des trucs. C’est les manouches, ça, qui volent les trucs ; ils rentrent dans les maisons et ils prennent tout ce qu’ils peuvent revendre. Les arabes c’est moins pire, d’ailleurs y’a un turc qui est venu ici, il était sympa.

Avec Ned, on a chargé sur la remorque les pneus qui recouvraient feu le poulain, et on est allés à la déchetterie. Bon, faut pas avoir peur, je conduis bien même si j’ai pas mon permis. Ils ont jamais voulu me le donner mais comme je me suis jamais fait piquer !... Y’a un connard qui avançait à deux à l’heure, Ned était sûr que c’était une femme, même si bon, il est pour les femmes, lui. Faut dire qu’un intérieur sans femme, c’est pas pareil. Une fois il est entré dans un cabinet d’avocats femmes, ben c’est différent, ça se voit, quoi. Mais sa femme à lui, c’était une belle salope qui l’empêche encore de voir ses quatre enfants depuis 17 ans, et ça le rend malade, il y pense tout le temps. Ned, il a le droit que de souffrir et de mourir, il dit. Pourtant il est intelligent, il a 6000 livres chez lui alors que elle, elle doit en avoir 2. Mais vous me direz, ça empêche pas de décartonner quand même, l’intelligence, parce que sa mère à lui elle était pas conne, ben elle a chopé l’alzeimer et elle yoyottait vachement de la touffe.

Bref, on a bossé au moins quatre heures aujourd’hui, entre les siestes et les repas. Je travaille mon self contrôle et mon ouverture d’esprit. A midi, j’ai dit à quelqu’un que je tiendrai les deux semaines, mais depuis
"Tout est mangeable!"
j’ai ouvert le frigo, et mon cœur s’est renversé comme une crème. Qui me connaît un tantinet sait que je ne suis pas spécialement délicate, et que parfois même je dépasse la règle des 3 secondes, mais là… que les rats piaillent derrière le tas de merdes quand on mange, c’est une chose, mais un frigo dans cet état, je ne peux pas. Blindé de DLC dépassées, noir, moisi, absolument ignoble. Alors ce soir, j’ai mangé un minimum en prétextant un petit appétit, puis je suis allée me promener et me suis gavée de pèches de vigne et de mûres. Question de survie ! Si j’arrive à éviter l’intoxication alimentaire et la morsure de rat, il ne me restera que les frelons asiatiques à semer. Le nid d’un mètre de large n’est pas si près que ça du jardin, finalement, j’ai qu’à faire attention…



Le nid de frelons asiatiques
En résumé, Ned est très sympathique, si l’on oublie son côté catho royaliste fascisant, l’obsession qu’il a d’appartenir à la noblesse française et sa frénésie à acheter des lots de trucs à revendre sur le bon coin, si l’on met de côté son penchant profond pour l’esprit décharge et sa détente totale vis-à-vis du duo hygiène/propreté, et si l’on accepte d’entendre ses interminables déblatérations de souffrances physiques et morales, toutes dues, au final, à sa salope de bobonne… cet homme est réellement malheureux, mais, ayant récemment compris que sauver le monde n’était finalement pas ma vocation, je ne suis pas certaine de gagner au change en troquant la Clis contre Ned. Surtout que la porte est basse et que je me suis pris le chambranle dans la figure environ douze fois aujourd’hui.

Malgré (ou grâce à ?) tout cela, je vais vraiment bien, terriblement soulagée d’avoir quitté Paris malgré ceux qui s’y trouvent et que j’aime, et bigrement fière d’avoir mis ma vie rangée de côté pour partir à l’aventure. Je suis un peu l’Indiana Jones des temps modernes, quoi ! et sur le pare-brise poussiéreux des autos déglinguées, LIBERTE, J’ECRIS TON NOM !

2 commentaires:

  1. J'ai découvert ton blog grâce à Atalanta et je dois dire que je le trouve très bien écrit ET super drôle ! Merci de ces anecdotes croustillantes, Ned est désormais mon personnage favori de la semaine. A bientôt :)

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  2. Je commence du début pour mieux comprendre ton histoire. D'angers au Laos tu a fait le choix de sortir de ta zone de confort, d'affronter le monde avec courage. Ces écrits peuvent servir toutes celles et ceux qui transitent vers plus de sens dans leur existence

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