lundi 29 septembre 2014

28 septembre.


Dix jours ont coulé depuis mes derniers fleuves. Contre toute attente, ils entretiennent le lien que j’ai avec vous et chacune de vos réactions, remarque horrifiée, encouragement, par voie écrite ou orale, ici ou là, m’a procuré un plaisir inattendu. Je découvre après coup pourquoi j’ai ouvert ces pages : une envie de partager avec vous, un peu, à ma manière, sans objectif aucun de qualité à atteindre, ce que je vis dans ce temps important pour moi. Ne pas s’attendre à ce que ce soit toujours passionnant, toujours rigolo, toujours stylé. Je ne m’astreins à aucun rendement, j’écris à mon envi.Ceci étant dit, la suite, donc, après Ned…
… un passage chez une femme magique dans un lieu magique. Une maison en bord de Loire et deux hectares de terrain, un paradis de jardins mêlés d'art.

Une visite d’Angers avec lui qui m’a commenté la sculpture de cathédrale illustrant les tables de la Loi de Noé, vous savez ? la Bible, Jésus, Dieu, tout ce qui s’ensuit, quoi.  Près de 1500km, 14 covoitureurs et mille histoires avec eux, trois de plus au tendre cinéma, deux japonais! la Loire, la Seine, la Moselle,
Un détail de la sculpture des tables de Noé

Chenonceau, des rouleaux de printemps d’automne et des amis, des câlins, des rires et des projets farfelus... une bien belle semaine, ma foi. Qui se termine par un troisième départ de Paris – c’en devient risible - en direction du grand est.

Je pars du cocon de Nancy, d’une que j’aime toujours autant malgré le temps et les événements,  dans la lumière tombante de la chaude journée. Elle m’éblouit dans les virages, la lumière, et j’hésite entre ralentir de sécurité ou y aller vraiment, franchement, pour goûter la prise de risque et jouir du tremblement de peur. Je ne vois plus le bitume ni les repères de route, je file, je fonce, je frissonne et je ferme les yeux !...
A chenonceau, ils illustrent
la fin tragique de Ned, dévoré par les rats.
… pas crédible, d’accord. Les chiens ne faisant pas de chats, bressans ou pas, je roule à 30, les fesses serrées,  les yeux plissés, priant pour ne pas basculer dans le fossé. Entre les éblouissements, cependant, je savoure la poussière soulevée du tracteur dans le champ strié, le soleil scintillant, déguste le  pont sur la petite Saône, encore enfant, au creux de son lit verdoyant. Des idées flottantes, des images d’arbres, de fleurs, des odeurs de champignons, le fantasme de quitter la ville à tout jamais pour retrouver mes racines et les sentir reprendre terre, un retour à Gaïa.


Claudon. C’est un nom rigolo, ça, Claudon. Un cheval au petit trot,  Claudon Claudon Claudon. Une riante bourgade vosgienne, comme les bonbons, au milieu de rien. Au milieu de l’essentiel. Je me sens libre et pleine de l’envie d’être ici, avec eux. Les grandes émotions, les beaux idéaux, toussa toussa. Je suis les panneaux Camping sans tomber dedans, sur les chemins terreux, forêt, jusqu’à l’orée de la clairière. Me gare à l’ombre d’une haie de séquoias géants. Une maison forestière s’impose juste derrière, bloc massif détonnant. Devant, sur un sac géant de sable, une pelle en plastique rose gît dans les mains d’un étrange enfant blond platine. Blond platine. DJ. Il me regarde fixement, ne bouge pas. L’image fugace du film Délivrance et sa musique entêtante, je trouve qu’un banjo remplacerait idéalement la pelle rose. Le sac au dos, je le salue, il ne bouge toujours pas. Banjo. A cet instant j’oscille entre 2 hypothèses : 1) il n’existe que dans mon imagination, 2) il est empaillé. Le fait qu’il ait subitement agité sa pelle sous mon nez a infirmé la seconde hypothèse, je ne suis pas aussi catégorique sur la première. Banjo a 3 ans et, à l’instar de Ned (pensée émue), il n’est pas inventable. Il marche pieds nus sur les cailloux sans sourciller, mange et bave de la terre, se jette sans prévenir dans les trous d’un mètre de profondeur et parle un charabia crypté décrypté par ses parents, ce qui semble à la fois essentiel et terriblement inquiétant. On me hèle, je me retourne et découvre la maman, le deuxième rejeton dans le dos. Elle est en train de finir de préparer le repas mais je peux entrer, si je veux.  De la soupe de poireaux et une poêlée de côtes de bettes à la coriandre. Je trouve cet accueil on ne peut plus agressif, mais je mords ma langue en regrettant d’avoir englouti le pot de caramel beurre salé offert par ma délicate amisuinière. Tu as bien reçu mon sms te prévenant de mon heure d’arrivée ? Elle répond que non, le téléphone ici ne passe pas, tous ces trucs là on est mieux quand on en est loin. Le téléphone ne passe pas, et il n’y a pas de wifi. Le téléphone ne passe pas, et il n’y a pas de wifi. Le téléphone ne passe pas, et il n’y a pas de wifi. Je
me sens sombrer dans un gouffre sans fond et le refrain funeste dans ma tête : le téléphone ne passe pas, et il n’y a pas de wifi, Gaïa me semble soudain beaucoup plus hostile que la soupe de poireaux, le retour à la terre mouillée, les arbres collants de sève, les limaces baveuses, c’était quoi cette idée de bobo à la con ?

J’avale ma salive.

Je respire un grand coup.

Et je continue, allez, l’aventure c’est l’aventure.

Maison et jardin pris de contact, magnifique de fruits et légumes débordants, de poules pacifiques, de lapins grassouillets, de moutons bêlants, les enfants dans mes pattes, le papa sur le toit, la maman m’expliquant. Même pas de rats. Soulagement. J’entrevois la lumière. Divine ?

La lumière ne marche pas, ce soir, sur ma table de chevet. Ils m’ont prêté une guirlande lumineuse et mon coin devient féérique. Mon
noyau d’avocat rwandais, organe rosé gorgé de vie, pousse doucement à mon côté. Ses bras de cure-dents et sa fente verticale lui donne un côté touchant, je l’aime, cet avocat. Un pousse de vert en son cœur, et dans 3 semaines il sera encore un peu plus grand.

Comme moi, peut-être ? Un sage m’a dit à l’oreille qu’on trouve souvent ce qu’on ne cherche pas. Je vais arrêter d’attendre et goûter de chacun de ces instants sans la pression du travail, dans la douceur de ma pousse d’avocat.

samedi 20 septembre 2014

Angers démons

La journée d’hier fut mé-mo–rat–ble. Qui a commencé la veille.

Jeudi. Un anglais à la décharge – Tristan, wwoofer Des yeux aussi vifs que bleus, éclairés de fines ridules en leurs coins. Un corps fragile de vêtements trop larges, un béret en équilibre sur un bout de tête. Un sac à dos plus lourd que lui le fait tituber. Il ne parle pas français, Tristan. Après le décès de sa mère, le cancer, il est parti de Winchester, Westminster peut-être ? pour marcher. Marcher, oublier, marcher, oublier. Avancer.  Il atterrit là, plein d’entrain, de bonne volonté, me dit qu’il veut travailler dur pour gagner some euros. Ned lui a demandé de faire brûler des tas de branches mortes dans les vignes, et moi je suis partie faire mon Tours, rentrée le lendemain.

Vendredi. Un trajet dans la campagne angevine, bonheur du petit matin… la lumière encore rasante sur les champs mûrs, sur les champs nus, le souffle léger caressant la cime des arbres. Bucolique. Madjo à mes oreilles, qui sort un nouvel album, quelle hâte! La bande son d'un très court métrage: Grand-mère se meut comme elle peut le long de la nationale. De dos, je vois à peine sa tête tant elle est courbée. Les bras écartés, le droit appuyé sur un bâton, le gauche agrippé à la laisse d’un petit chien blanc. Poilu. Soudain, sous le gilet bleu marine un peu trop grand de Grand-Mère, la jupe à carreaux, vieillotte, est victime d’un assaut vicieux de la brise, et hop ! sa culotte blanche est clou du spectacle. Une scène tendre qui sourit, comme moi, le temps d’un flash à 90km/h.

Retour à la réalité. Je descends de voiture dans un soupir à la fois contrarié de retrouver mes carcasses panachées, à la fois motivé par l’idée de les quitter. Lundi, j’ai dit.
Mais voilà que, dans un bond paniqué, Tristan me rejoint en répétant frénétiquement « He’s not clear, he’s not clear ! he’s crazy, oh my god he’s crazy ! Just go, don ‘t stay ! You’ll be ill ! », et il me raconte à voix basse, en sautant, en détails, et en anglais s’il vous plaît, qu’en entrant dans la cuisine he saw a big rat et que c’était just disgusting, que nous allions die si nous stayons, et blablablablabla… entre deux murmures horrifiés, il a évoqué aussi qu’il avait foutu le feu à la haie du champ de vignes et qu’il avait du appeler les pompiers, j’ai bien rigolé. J’ai rigolé, mais j’ai senti la conscience m’envahir, aussi. Je passe les détails du vélo dans ma tête en l’écoutant s’agiter, mais quinze minutes plus tard, mes valises étaient faites, et coincées dans le coffre de ma voiture encore chaude, la coquine. Tristan a suggéré qu’on parte sans rien dire mais il était hors de question de laisser Ned comme ça. J’ai hésité à lui dire la vérité, que nous partions à cause de l’agressive attaque de sa maison sur nos cinq sens et de celle, potentielle, sur l’intégrité de nos circuits internes. Et finalement non. A cause d’une histoire qu’il m’a racontée.

Sa Jeanne d’Arc en plâtre a toujours été là, posée sur le buffet. Quand il était malade, à l’hôpital, elle y était aussi. Avec les rats. Pendant 3 ans, les salauds l’ont utilisée comme tremplin pour accéder au micro ondes et sortir par un trou du mur. Un sac de farine par terre éventré par eux. Parce qu’ils passaient sur la poudre disséminée avant de sauter sur le buffet, Jeanne d’Arc a fini couverte de farine séchée à l’urine de rat, noire à cause des crottes. C’était dégueulasse, j’ai du frotter pour la ravoir. Ned me raconte ça d’un air furieux, désolé, mais ponctue son histoire avec l’air fier de celui qui fait les choses bien, quand même: Jeanne d’Arc était noire de farine séchée à l’urine de rat, oui, mais c’était de la farine bio. De la farine bio !...

Ce fut le délic : il n’est plus avec nous, Ned. Il est ailleurs, dans un autre système de repères, à des années lumières de notre monde ordinaire. Il évolue dans une sphère où l’on mange des yaourts périmés en mai sans s’inquiéter une seconde. Il n’est plus avec nous, Ned, mais il a ceci d’humain : une angoisse basse et lourde pèse comme un couvercle sur son esprit gémissant en proie aux longs ennuis. Cette angoisse, c’est la solitude.

J’aurais pu prendre mille photos de sa décharge intérieure, extérieure, raconter mille anecdotes ahurissantes et citer mille remarques décalées, mais je me rends compte que c’est ajouter à l’horreur de sa situation. Il n’a pas besoin d’une humiliation supplémentaire, Ned, et c’est pourquoi je lui ai menti. Parce que sa dimension ne me convient pas mais qu’il n’y peut plus rien, il ne peut plus changer. Alors, comme la précédente qui a du partir précipitamment à cause d’une amie malade, comme la pénultième qui a du partir précipitamment à cause de son enfant malade, je suis partie précipitamment à cause d’un gros mensonge que j’ai inventé juste pour lui. Ned ne mérite pas qu’on lui dise la vérité, ça changerait quoi ? il serait triste de savoir que sa maison et lui font fuir les gens, je suis certaine qu’il préfère croire aux mensonges précipités des wwoofers successifs.

Tristan et moi avons donc froidement asséné le coup de grâce à Ned qui a pris la chose avec philosophie. D’accord, merci, au revoir. Nous nous sommes retrouvés dans la voiture, comme deux benêts. Et  maintenant ?...

L’  « Et maintenant ? » a duré assez longtemps pour que Tristan m’explique qu’il avait, la veille, réfléchi sur le cas Ned et avait
Tristan et moi
trouvé l’explication, bon sang mais c’est bien sûr. Il lui avait suffi de relire la Bible qui, d’après lui, précise noir sur blanc que Dieu envoie des rats aux hommes égoïstes et faibles pour qu’ils pissent sur leur nourriture et qu’ils attrapent des maladies intestinales.  Voilà pourquoi Monsieur, votre Ned est malade. Puni par la volonté divine. Accessoirement, comme je n’avais pas possibilité de partir de mon plein gré car ensorcelée, Dieu a aussi guidé Tristan vers la décharge pour qu’il vienne me sauver des griffes du Vilain. Il lui a envoyé un rat comme signe déclencheur de notre départ précipité. Tristan m’a illuminée, je dois dire. Son énergie à croire m’a ouverte à la conscience, et je ne dis même pas ça en déconnant. J’ignore profondément pourquoi je n’ai pas claqué la porte plus tôt.

Et maintenant ? disais-je. Tristan a l’idée lumineuse d’appeler une autre hôte. Julie. Qui répond qu’elle rappelle, mais ne rappelle pas. Et puis si, nous attend. J’y emmène Tristan, ayant pour ma part en projet de finalement passer le week end à Paris. Tout ça pour ça !

40 minutes de voiture, le long des quais du colossal fleuve, fin de matinée. Un muret en brique nous sépare des bancs de sables de la Loire assoiffée. Une lumière éclatante, un bleu scintillant, la danse hypnotisante des oiseaux  et encore une simple émotion pour garnir un écrin. Je pense à mon neveu, ma nièce, qui commence à bouger dans le ventre de ma sœur aimée, et des picotis de profond bonheur dans le mien. J’ai hâte de le/la prendre dans mes bras et de caresser son petit nez.

Avant cette rencontre-là j’en ai d’autres à faire, et d’autres faites, encore, surprenantes, ce jour d’hier, que je conterai une autre fois. Mais juste avant de ponctuer : une pensée pour Ned.



PS: en cadeau bonux, le copié/collé du statut facebook de Tristan ce vendredi matin.
"Omg I had to worst night ever, after nearly setting fire to half of Angers, and having to call the fire brigade, on the most probly the eorst wwoofin farm in france, trust me their aint nothing organic about this rat infested hole, the german shepherd is fed rotten food, its ear jas been half eaten off by rats, who come to eat his food in the night, I have worked my ass of yesterday and been fed not much more than a child's portion of lasagne which im sure has been reheated from god knows when, I go to see the disease ridden farmer this morning planning to sort some shit out, their is a 20 inch rat in the kitchen, mateys home is like something off the hoarder next foor, fml, im gonna get my shit together and make like hockey player & get the puk out of here, he wants me to do some chainsaw in today any safety tips eould be welcome. The only reason im staying today is their is a nice girl called alexa who will drive me to next farm."

mercredi 17 septembre 2014

La douleur angevine

Y’a des gars qu’ont fait le Vietnam, d’autres l’Algérie. Moi j’ai fait Ned. Certaine que ça impressionnerait les para, si je frappais à leur porte.

Le coin cuisine et vaisselle
J’exagère tout de même parce que si Ned habite une porcherie, il réserve la suite royale aux wwoofers. D’accord, la porte ne ferme pas et le plafond des toilettes s’effrite sur ma tête quand je fais pipi, la tringle rouillée s’est cassée en deux quand j’ai fermé les rideaux et une piqûre de je ne sais pas quoi a fait doubler mon bras de volume, mais il n’y a pas de rats et les draps sont presque propres. Il prend soin de moi, Ned, même s’il mange des salades avocat/pamplemousse sous mon nez pendant que je me tape les pâtes al (very) dente sur lesquelles il a cassé un œuf qu’il a du avoir avec ses derniers tickets de rationnement. Ned, il trouve que j’ai un petit appétit, c’est bizarre, parce que ça va beaucoup mieux depuis que je fais la vaisselle. Non,j’y tiens, la vaisselle c’est une affaire de femmes. On se comprend, avec Ned. Il me demande tout de même de faire attention à la belle assiette qu’il a volé chez Flunch le jour de son anniversaire. Comme il est toujours tout seul le 3 août, il va chez Flunch pour se faire un plaisir, il prend les frites à volonté, tant pis pour son diabète, et ils lui offrent un gâteau qu’il partage en général avec ses voisins de table. Et l’assiette, cette année, il l’a piquée, ha les cons.


Je me dois d'évoquer tout de même mes journées assez légères ! Lever 8h15, repoussé de dix minutes, repoussé de dix minutes, repoussé de dix minutes. Petit déjeuner avec Ned qui se plaint. Qui se plaint. Qui se plaint. Après je vais donner à manger aux poules qui, elles, sont beaucoup plus rigolotes.
Un coq rigolo
Une poule rigolote
Juste un coq à crête noire, un crâneur, me vole dans les plumes dès que j’entre dans l’enclos. J’ai essayé de dialoguer et de lui expliquer calmement le concept de coq au vin, il n'en a eu cure. Ned dit qu'il doit sentir que je suis une femelle. Heureusement que tous ceux qui sentent que je suis une femelle n'agissent pas comme lui.

Regardez-le qui m'agresse, avec son air belliqueux !

Suite aux poules, je viens quémander l’activité. Ce matin, j’ai désherbé la plate bandes de courgettes envahie de tout mais surtout d'orties, à la main, assise par terre au milieu des rats courant. Ayant fini, Ned me demande de désherber le reste de la parcelle. Je suis venue, j’ai vu, j’ai laissé tombé direct.

A droite: ce que j'ai pu désherber, à gauche: mon échec.

Après, Ned a l’idée de faire brûler le tas de branches mortes, alors il y met le feu, au milieu des voitures et des tondeuses à gazon. Il m'assure qu'il n'arrivera rien et que si je m'inquiète, je peux toujours rester à côté avec un seau d'eau. Il part et me laisse. Pendant 2h.



Après le repas et la sieste, Ned me demande de le conduire à 60km de là, voir la maison de son auguste ancêtre, ou de son ancêtre Auguste, je ne sais plus (mais c’était un noble). Enfermée dans un habitacle de Clio avec lui, j’ai eu un aperçu de ce qui m’attend en Enfer. Parce que Ned, il parle tout le temps. Attention, pas tout le temps genre  « tout le temps », plutôt tout le temps genre « ma-vie-dans-ses-moindres-détails-et-je-m'en-contrefiche-de-ta-gueule». J’ai vaguement essayé de participer à la conversation, mais il gère très bien tout seul. Du coup je peux prendre le temps de penser, ou d'admirer le ciel bleu avec des nuages blancs, apparemment typiques des pays de Loire, d'après les locaux. Prenez note. Attention, penser à ponctuer son discours de hochements de tête et de hummmements régulièrement. Il en semble satisfait !... sauf hier soir. Il me parlait de Bobonne. C’est une perverse narcissique, comme sa mère, elle aussi était gratinée (j'ai tout lu sur les pervers narcissiques depuis 20 ans). Elle pleurait devant ses filles en disant que de toutes façons, elles l’aimaient pas et qu’il valait mieux qu’elle meure, tout ça pour que ses filles se jettent à ses pieds en disant « Maman on t’aime, ne meurs pas ! »… mais là je sens que je vous ennuie avec mes histoires, einh ? je sais que je vous ennuie, je devrais me taire et rester tout seul, de toutes façons je vais mourir seul. Ce mec est un puits de culture, musique, littérature, médecine, botanique, théologie, mais en psycho, c’est une quiche.



Enfin bref. Il fait beau et chaud (oui Papa, c’est une contrepèterie), et j’apprends ici que  la vie c’est de la merde, que les jeunes des banlieues crament des voitures ou violent leurs voisines quand ils
La coulée verte... d'orties.
s’ennuient, et que l’apocalypse, c’est pour demain. Il connaît des gars, des survivalistes, qui restent assis toute la journée sur un tas de bouffe avec un fusil, mais lui il est pas comme ça. Enfin, un fusil, ça peut servir, quand même. Surtout pour tous ces salauds qu’il y a de partout ! Il y a encore un voisin qui est passé pour l’engueuler que ses carcasses de voiture bousillaient le paysage. Je ne comprends pas pourquoi il dit ça, dans un village aux rues étroites, vieilles demeures tout en pierres, toits en ardoises, vignes vierges et clématites en cascades sur les murs, les voitures mettent un peu de couleur. Et puis y’a ce gars, là, le faux wwoofer qui lui a volé des trucs (il devait avoir du sang manouche). Il a osé le traiter de dégueulasse ! Mais je digresse.



En résumé, donc, je passe mes journées à entendre un abruti déblatérer ses histoires de noblesse et de manouches, les mains dans les merdes de rats, en évitant de me faire attaquer par un coq en furie. J’ai la réputation d’attirer les gens en souffrance, mais là j’ai décroché le pompon. Ned est juste un homme terriblement malheureux qui prend des wwoofers pour lui tenir compa
Feu le poulain
gnie. Il le cache en prétextant qu’il a besoin d’aide pour retaper sa propriété, mais le délabrement est tel qu’à part brûler le tout, il n’y a rien à faire… je crois que les jours où il est seul, Ned ne se lève pas.

Je suis triste pour lui, évidemment, mais ça n'empêche pas qu'il me gonfle sérieusement, et malgré mon moral au beau fixe, cet endroit et son propriétaire me sont franchement désagréables. J’ai donc pour projet de les quitter ce lundi, faire un Tours, un détour, où le vent me portera…

lundi 15 septembre 2014

Attention, d'Angers!

Chers vous tous,

Je suis partie hier de mon Paris d’adoption pour un périple aventureux aux quatre coins de France, de Navarre et d’Europe de l’est. L’idée ne m’avait effleurée de partager l’expérience autrement que par téléphone avec ceux qui ont un forfait illimité principalement, mais face à mes découvertes bouleversantes se succédant depuis hier soir, il me semblait criminel de garder cet endroit inconnu du grand public. Dans ce chemin qui porte le nom de rasoirs pour hommes, la perfection au masculin s’incarne chez un homme que nous appellerons Ned, pour préserver son anonymat et l’égayer un chouilla. Il accueille des Wwoofer, c'est-à-dire qu'il offre gîte et couvert en échange de menus travaux.

Je suis arrivée à Angers hier vers 18h, ponctuant 3h30 de voiture transpireuses par la traversée d'une ville où les gens se balancent de la peinture sur la figure. Typique. Comme je maudissais ce nanaze de Tomtom qui ne trouvait pas ma destination (ou alors c’est moi qui n’ai pas su suivre ses indications, mais faut dire qu’elles étaient pas claires), j'ai passé un coup de fil à Ned qui me répond que mais si, faut avancer, il habite là où il y a quelques voitures, et un van dans l’entrée.
La vue de ma chambre

Doux euphémisme.


J’ai du user de mes talents connus et reconnus en termes de créneaux impossibles pour caler ma Clio entre deux épaves, et entrer dans la propr… décharge. Je n’avais jamais vu ça. Des voitures, des voitures, des voitures, des pneus, des outils rouillés, un vélo elliptique,  des fours cassés, et des bouts de trucs coinçant des bidules pour pas que ça tombe sur les machins, mais ça on va y ranger ça sera mieux après. Ned me fait très gentiment entrer dans sa cuisine. Je bloque sur le seuil. Un bourdonnement de mille mouches s’affairent dans l’espace réduit où une odeur âcre m’attaque les narines. Une odeur de vieux, de moisi, une odeur aigue qui pique partout. Mes yeux horrifiés ne savent plus où se poser, sur les rouleaux de scotch enfilés sur les ampoules d’un lustre mort, sur la pile de livres « Le vrai visage de l’Islam » posée en équilibre au coin d'un carton de boîtes d’œufs en fouillis, 
La cuisine...
ou sur le Jésus en plâtre, un bras manquant, l’air délabré de constater le critique de la situation.  Je me faufile entre les montagnes de tout mais surtout de rien, sales de toutes façons, menaçant l’avalanche (dans ce cas, il paraît qu’il suffit de faire pipi pour savoir quel côté creuser et retrouver la surface, c’est bon à savoir), qui laissent un maigre passage pour accéder à la table. Un tas géant de médicaments en cache la moitié, la seconde étant jonchée de pain rassis ou moisi, les deux mon général, d’un paquet de pâtes éventré (encore ces connards de rats), d’une tarte aux pommes racornie sur une nappe tachée, mais faudrait enlever tout le bordel pour la changer et Ned n’a pas la force. Sur la cuisinière noire de crasse bulle une confiture gluante. Ned n’a pas l’air très à l’aise, il se dépêche d’expliquer que sa salope de femme a provoqué chez lui un diabète extrêmement grave qui l’a précipité dans le coma pendant 4 mois, a fait fondre ses muscles et lui a ôté toutes ses forces. J’ai cru que je n’allais jamais remarcher. Regardez, j’ai une pompe à insuline, soulève sa chemise et me montre son ventre.

Ned a 56 ans. De petites moitié d'étoiles sous ses yeux fins, et très bleus. Une ride étrange lui barre le front en oblique, il doit avoir des soucis tordus. Un nez aquilin (j’aime bien ce mot), une peau lisse de quartier. Il entretient la barbe de 3 jours, celles des beaux gosses, mais il lui manque plein de dents alors l'effet est moins réussi. Des cheveux blancs qu’il coiffe consciencieusement sur le côté, la raie à gauche, BCBG. Ses ancêtres étaient de grands propriétaires terriens, à Ned, il descend de la noblesse mais vous savez, l’ascenseur social marche dans les deux sens malheureusement. Ses parents étaient très pauvres, mais 75% des français de souche sont descendants d’Hugues Capet, on peut voir ça sur  www.capet.org, allez-y vous verrez !

Avec Ned, on a défriché un petit coin où il veut planter des semis et mettre un tunnel, mais chez nous on dit chenille. On a coupé des branches d’un magnifique figuier, et puis on a trouvé tout un squelette. Oh, ça c’est un poulain qu’un connard a fait crever parce qu’il s’en est pas occupé, quand j’étais dans le coma. Ned, il en a croisé, des salauds  qui ont vécu chez lui sans le payer, qui lui ont fait croire qu’il gagnerait plein d’argent, ou qui lui ont volé des trucs. C’est les manouches, ça, qui volent les trucs ; ils rentrent dans les maisons et ils prennent tout ce qu’ils peuvent revendre. Les arabes c’est moins pire, d’ailleurs y’a un turc qui est venu ici, il était sympa.

Avec Ned, on a chargé sur la remorque les pneus qui recouvraient feu le poulain, et on est allés à la déchetterie. Bon, faut pas avoir peur, je conduis bien même si j’ai pas mon permis. Ils ont jamais voulu me le donner mais comme je me suis jamais fait piquer !... Y’a un connard qui avançait à deux à l’heure, Ned était sûr que c’était une femme, même si bon, il est pour les femmes, lui. Faut dire qu’un intérieur sans femme, c’est pas pareil. Une fois il est entré dans un cabinet d’avocats femmes, ben c’est différent, ça se voit, quoi. Mais sa femme à lui, c’était une belle salope qui l’empêche encore de voir ses quatre enfants depuis 17 ans, et ça le rend malade, il y pense tout le temps. Ned, il a le droit que de souffrir et de mourir, il dit. Pourtant il est intelligent, il a 6000 livres chez lui alors que elle, elle doit en avoir 2. Mais vous me direz, ça empêche pas de décartonner quand même, l’intelligence, parce que sa mère à lui elle était pas conne, ben elle a chopé l’alzeimer et elle yoyottait vachement de la touffe.

Bref, on a bossé au moins quatre heures aujourd’hui, entre les siestes et les repas. Je travaille mon self contrôle et mon ouverture d’esprit. A midi, j’ai dit à quelqu’un que je tiendrai les deux semaines, mais depuis
"Tout est mangeable!"
j’ai ouvert le frigo, et mon cœur s’est renversé comme une crème. Qui me connaît un tantinet sait que je ne suis pas spécialement délicate, et que parfois même je dépasse la règle des 3 secondes, mais là… que les rats piaillent derrière le tas de merdes quand on mange, c’est une chose, mais un frigo dans cet état, je ne peux pas. Blindé de DLC dépassées, noir, moisi, absolument ignoble. Alors ce soir, j’ai mangé un minimum en prétextant un petit appétit, puis je suis allée me promener et me suis gavée de pèches de vigne et de mûres. Question de survie ! Si j’arrive à éviter l’intoxication alimentaire et la morsure de rat, il ne me restera que les frelons asiatiques à semer. Le nid d’un mètre de large n’est pas si près que ça du jardin, finalement, j’ai qu’à faire attention…



Le nid de frelons asiatiques
En résumé, Ned est très sympathique, si l’on oublie son côté catho royaliste fascisant, l’obsession qu’il a d’appartenir à la noblesse française et sa frénésie à acheter des lots de trucs à revendre sur le bon coin, si l’on met de côté son penchant profond pour l’esprit décharge et sa détente totale vis-à-vis du duo hygiène/propreté, et si l’on accepte d’entendre ses interminables déblatérations de souffrances physiques et morales, toutes dues, au final, à sa salope de bobonne… cet homme est réellement malheureux, mais, ayant récemment compris que sauver le monde n’était finalement pas ma vocation, je ne suis pas certaine de gagner au change en troquant la Clis contre Ned. Surtout que la porte est basse et que je me suis pris le chambranle dans la figure environ douze fois aujourd’hui.

Malgré (ou grâce à ?) tout cela, je vais vraiment bien, terriblement soulagée d’avoir quitté Paris malgré ceux qui s’y trouvent et que j’aime, et bigrement fière d’avoir mis ma vie rangée de côté pour partir à l’aventure. Je suis un peu l’Indiana Jones des temps modernes, quoi ! et sur le pare-brise poussiéreux des autos déglinguées, LIBERTE, J’ECRIS TON NOM !