vendredi 9 avril 2021

Ou alors on s'en fout?


Compulsion.

Capillaire.

Tu te lèves un matin, ça allait plutôt bien jusque là. Tu t'extirpes, endormie, de ton lit, pensant la journée qui vient, innocente. Tu titubes, tu tâtonnes. Tu bâilles. Tu rêves. Au détour d'un couloir tu tombes sur ton image dans le miroir et ta légèreté se fracasse. Tout à coup ça va plus bien du tout, c'est quoi, ça ? Ces cheveux filasses... cette mèche, là, qui te donne un air penché permanent et cette frange ni faite ni à faire, ces cheveux blancs, senescence, cet air gras, tu peux plus, mais alors plus du tout. Tellement plus que t'imagines pas terminer la journée sans qu'on te change la tête, et faut que ça se fasse, là, maintenant, ou tu vas mourir, c'est sûr.

Ta raison frappe à la porte et tu sais, au fond, que tout ça vient du dedans de ta tête et pas de ce qu'elle a l'air, qu'hier avec la même tu t'aimais plutôt bien ! Tu sais que si tu attends demain ça sera passé mais tu peux pas... puisque tu seras morte, demain. Urgence. Vitale.

Comment faire ?

Tu travailles jusqu'à 17h, un rendez-vous à 18 et couvre-feu à 19. Qu'à cela ne tienne, tu vas mentir pour annuler ton rendez-vous et en prendre un autre. Tu vas mentir parce que 1) c'est tabou, la compulsion capillaire. Tout le monde sait que ça existe mais personne n'en parle. 2) de toutes façons c'est un truc que t'assumes pas, ça, te préoccuper de tes cheveux. Tu trouves ça futile, tu te permets pas d'y accorder de l'importance et encore moins de l'argent. La honte.

Tu vas au plus près. Tu passes l'entrée du coiffeur et t'assieds sur le siège. Le shampoing, les gratouilles. Tu veux quoi ? Qu'importe, je vous fais confiance, tu dis. L'important c'est de pas ressortir comme tu es rentrée. Et là, ça coupe et ça papote. Ça coupe et ça papote. Elle a pas l'air de faire gaffe à ce qu'elle fait. De rien n'était. Tu jettes un œil inquiet mais tu gardes ta bonhomie, t'avais qu'à pas flancher et te précipiter. Elle coupe la seule mèche que t'aimais, qui tombe au ralentis dans un instant catastrophe. Sourire crispé. Elle coupe la frange en deux deux, c'est pas droit. Hurlement intérieur. Elle finit par un brushing soigné. Je me liquéfie. Ça vous va comme ça ? C'est parfait ! Je dis.

Exactement la tête que je voulais pas. C'est affreux. Court devant, long derrière, une espèce de Mireille Mathieu avec la coupe mulet. Je dis merci beaucoup, au revoir, à bientôt ! Et je rentre dans ma voiture en tremblant. Je me vois que partiellement dans le rétro. C'est déjà trop.

Au retour je suis agressée par les miroirs assassins, je me jette rageusement sur le shampoing pour défaire son sale brushing de merde et m'évertue à tirer sur les mèches trop courtes pour les rallonger – peine perdue. Je choisis donc une autre option, puisque je vais finir seule, ostracisée par la gente masculine qui n'osera plus poser les yeux sur moi, condamnée par mes comparses féminines qui n'auront de cesse de se moquer, mes amis ne me reconnaîtront plus – mais qui êtes-vous Madame ? Et les enfants me jetteront des cailloux. Je vais donc rester dans mon lit pendant deux mois, le temps que ça repousse, puis j'étudierai éventuellement la possibilité de montrer de nouveau ma tête en public.



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