samedi 7 mars 2020

L'aventure c'est l'aventure!


J'aurais bien parlé de Hué, l'historique, de sa paisible et gigantesque cité impériale, suspendue, dans la ville grouillante, de ses pharamineux tombeaux disséminés dans l'arrière pays, du parc d'attraction abandonné ou de ses trésors culinaires, des tailleurs, des scooters, des chapeaux pointus et des vendeurs de rue, de tous ces détails qui semblent faire du Vietnam un bouillon de vie extraordinaire... mais je sors de 18h de bus et ce retour au Laos mérite bien quelques lignes.
Faut savoir qu'au Vietnam, comme au Laos, il y a des agences de voyages un peu partout, où l'on peut booker un trajet, un tour de la région, une visite quelconque... toujours facile d'organiser un truc.

Il faut juste accepter et apprécier les éventuelles surprises, garder son calme et avoir confiance... je réserve donc mon trajet Hué-Paksé, du Vietnam au Laos, en passant par une frontière qui délivre des visas à l'arrivée, en faisant un petit détour de 200km car pas d'autre possibilité.

Départ prévu à 8h de la guesthouse de Hué, Vietnam, après 17 aventureux jours de vacances avec mon amie Laurie, moitié chinoise, entièrement décalée. 7H59, le moto-scooter conduit par une jeune femme arrive, j'effuse Laurie, en pleurant évidemment, et enfourche la bécane chargée de mes bagages. Ils ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait ! Sur les scooters, ils mettent tout, des familles entières, une bétonneuse traînée par l'arrière, des échelles, des montagnes de paquets !... mes bagages à côté, c'est petit joueur.
Chemin vers « l'arrêt de bus », un coin de rue pourri où ma conductrice et moi sommes seules à attendre. Ces petits moments-là qui permettent de rencontrer vraiment les gens... son travail, sa famille, son prénom qui signifie « Pour toujours », et ses inquiétudes face à l'avenir. Me demande si Paris est belle. M'emmène finalement à la vraie station de bus où je la quitte et grimpe dans ma couchette. Je suis la seule occidentale et la seule femme, un peu dévisagée, mais jamais en danger, ici. Un jeune éphèbe balance mon sac à dos sans tendresse aucune dans le fond du bus, où s'entassent déjà tout plein de trucs. Je m'allonge. Le bus part et s'arrête plusieurs fois, pour remplir toujours un peu plus ses cales de cartons, de cartons, de cartons, cales remplies ils trouvent encore de la place dans le bus où maintenant nous, voyageurs, so
mmes en minorité, les cartons s'entassent et tapissent le sol, par dessus lesquels des éphèbes ruisselants posent des tapis et s'installent pour la suite du voyage. Paysages magnifiques de campagnes vietnamiennes, jusqu'à la frontière lao. Le bus s'arrête, tout le monde descend et moi ? Je demande si quelqu'un parle anglais, mais visiblement non. Le chauffeur me crie VISA VISA ! En me montrant un bâtiment, quelques centaines de mètres plus loin, je gesticule pour lui demander si après le visa, je reviens au bus et il beugle encore YES YES ! Alors je monte dans la navette direction le poste frontière, sans aucune inquiétude, et je me demande pourquoi ma copine Catherine m'a dit que cette frontière, c'était vraiment galère. Je vais au bureau de sortie du territoire vietnamien, ok, puis au bureau des visa laotiens. Le gars vérifie, tamponne, me fait payer, dans un anglais constitué de mots isolés, puis je sors du bureau pour retourner au bus. Sauf que non, en fait, le douanier ne veut pas me laisser repartir, je suis sur le territoire laotien, maintenant, je ne peux plus retourner au Vietnam, là où est le bus, ben oui, pourquoi n'y avais-je pas pensé ?... les douaniers sont gentils, mais fermes, et surtout disent yes à tout ce que je dis, quoi que je dise, ce qui pourrait être drôle dans certaines circonstances. Je décide d'attendre en me disant que le bus allant traverser la frontière de toutes manières, je le choperai au passage. Une demi-heure. Une heure. Une heure et demi. Toujours rien. Mon niveau de tension commençant légèrement à grimper, je me demande comment avoir des infos et me congratule d'avoir pris le nom de l'office par lequel j'ai réservé le voyage. Je retrouve le numéro, mais comme j'ai Internet mais pas le téléphone, j'appelle Patrick par WhatsApp pour qu'il appelle l'office pour qu'elle appelle le bus pour qu'il lui dise où il est et où je suis. Pour me rassurer. Et puis je demande aussi à Laurie, qui est toujours à Hué, de repasser à l'office, et puis j'envoie un message facebook, et puis je commence à me dire que peut-être, le bus est passé quand je faisais mon visa, que je ne reverrai jamais mes bagages qui sont à l'intérieur et que ça va être une drôle de galère pour aller jusqu'à Pakse. Patrick a cru comprendre malgré l'accent vietnamien prononcé que le bus arrivait dans dix minutes, et Laurie me dit de même. Quant à la dame de l'office, elle me répond par facebook « you waite body help me », ce qui doit vouloir signifier quelquechose mais me semble sur l'instant assez abscons. Dix minutes, vingt minutes, trente, une heure. J'avance côté laotien au cas où il soit garé un peu plus loin mais rien. J'empoigne google traduction pour tenter d'entrer en communication avec le douanier, mais l'internet ne passe plus, il est désolé pour moi et je regrette tellement la robe que Laurie m'a offerte et qui est dans mon sac à dos ! Jamais je ne la reverrai. Quand une jeune femme à côté me dit « the bus to Pakse is coming ! »... un mélange de soulagement intense et de haine m'envahit. Elle aurait pu se manifester avant, l'anglophone... La dernière demi-heure passe plus sereinement, jusqu'à ce que je voie ce bus qu'ils avaient encore réussi à charger, en hauteur, cette fois, pointer le bout de son nez... et tout à coup tous mes compagnons de voyage sortent du resto en face de la douane, une floppée de reposés et moi, l'affamée, la paumée, nous remontons dans le bus et je prends mon air de celle qui savait bien qu'il fallait pas s'inquiéter. Il est 15h30.

Côté lao les choses sont vite posées, et le contraste avec le Vietnam me saute à la gorge. On s'est éloignés de la mer et les herbes sont jaunes, brûlées de soleil. On est loin de la luxuriance des jardins pamplemoussiers de Hué. Le long des routes vietnamiennes, de celles que j'ai faites, de celles que j'ai regardées, je n'ai pas vu de villages faits de maisons en bois, en bambou, en tôle, sur des bosses de terre poussiéreuse. Je n'ai pas vu de gens qui se lavent dans des filets de rivières ni de vaches efflanquées brouter des restes de paille de riz. Je suis saisie par la pauvreté qui suinte le long des routes laotiennes, par la désolation des paysages, et en même temps je vois tous ces gens qui vivent ensemble, dehors, ces enfants qui jouent avec rien, ces animaux en liberté, ces hamacs tendus entre les arbres. Sa sa. Doucement. Je me demande si ces gens se sentent pauvres.

Le bus s'enfonce dans la nuit jusqu'à Savanaket, et c'est là que je descends. Moi seule, j'ai une correspondance pour Pakse, les éphèbes me débarquent et me disent d'attendre sur un banc sale, au milieu de nulle part. Les gars qui zonent me regardent en rigolant, il est peut-être 21h, et des dames vendent des brochettes de poulet grillé , je ne sais pas trop à qui. Moi je mange mes mangues séchées, sereine. Une petite demi-heure plus tard s'arrête un bus et des cris : PAKSE ! PAKSE ! Je ne comprends pas comment de ce qui semble être un fantastique bordel sort au final un trajet minuté et parfaitement organisé. Ils ont balancé mes bagages par la fenêtre arrière de ce bus dont le confort m'a vite fait regretter les cartons du précédent. Un bus ordinaire, faut monter à l'arrière parce qu'un scooter occupe l'entrée de devant, et dépasse un peu sur la route. Une vitre sur deux, des sièges cassés de quand tu t'assois tu glisses en avant, des poules, une chèvre qui bêle pendant des heures, la pauvre, des néons qui s'allument à chaque arrêt et le mec qui gueule où on est pour que ceux qui dorment se réveillent !... je cherche une place, dans ce bazar, et j'aperçois une petite et vieille dame seule sur sa banquette. Je m'approche, lui demande si je peux m'asseoir et gentiment, avec un grand sourire, elle me répond non, et me montre l'arrière du bus, rempli. Sa proposition me semblant très inadaptée, je commence à m'installer à sa droite mais elle ne bouge pas, ne sourcille pas, ne me vois pas. Je me retrouve avec ¾ de fesses sur l'accoudoir et un doux bruit de mastication, quelques dents retsantes sur des œufs durs... Je pousse un peu, je joue du bassin, j'arrive à m'immiscer. Bo penyang. Et je m'endors... bercée par la vie d'ici...jusqu'au moment où quelqu'un me secoue, il est 1h30, je suis arrivée. Ils savaient que je descendais, mes bagages sont sur le trottoir avant moi. Un tuk tuk m'attend pour me mener à l'hotel, et m'extorque une somme disproportionnée, c'est de bonne guerre... je me glisse entre les draps du dortoir, enfin.

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