J'aurais bien parlé de
Hué, l'historique, de sa paisible et gigantesque cité impériale,
suspendue, dans la ville grouillante, de ses pharamineux tombeaux
disséminés dans l'arrière pays, du parc d'attraction abandonné ou
de ses trésors culinaires, des tailleurs, des scooters, des chapeaux
pointus et des vendeurs de rue, de tous ces détails qui semblent
faire du Vietnam un bouillon de vie extraordinaire... mais je sors de
18h de bus et ce retour au Laos mérite bien quelques lignes.

Il faut juste accepter et apprécier les éventuelles surprises, garder son calme et avoir confiance... je réserve donc mon trajet Hué-Paksé, du Vietnam au Laos, en passant par une frontière qui délivre des visas à l'arrivée, en faisant un petit détour de 200km car pas d'autre possibilité.
Départ prévu à 8h de
la guesthouse de Hué, Vietnam, après 17 aventureux jours de
vacances avec mon amie Laurie, moitié chinoise, entièrement
décalée. 7H59, le moto-scooter conduit par une jeune femme arrive,
j'effuse Laurie, en pleurant évidemment, et enfourche la bécane
chargée de mes bagages. Ils ne savaient pas que c'était impossible
alors ils l'ont fait ! Sur les scooters, ils mettent tout, des
familles entières, une bétonneuse traînée par l'arrière, des
échelles, des montagnes de paquets !... mes bagages à côté,
c'est petit joueur.
Chemin vers « l'arrêt
de bus », un coin de rue pourri où ma conductrice et moi
sommes seules à attendre. Ces petits moments-là qui permettent de
rencontrer vraiment les gens... son travail, sa famille, son prénom
qui signifie « Pour toujours », et ses inquiétudes face
à l'avenir. Me demande si Paris est belle. M'emmène finalement à
la vraie station de bus où je la quitte et grimpe dans ma couchette.
Je suis la seule occidentale et la seule femme, un peu dévisagée,
mais jamais en danger, ici. Un jeune éphèbe balance mon sac à dos
sans tendresse aucune dans le fond du bus, où s'entassent déjà
tout plein de trucs. Je m'allonge. Le bus part et s'arrête plusieurs
fois, pour remplir toujours un peu plus ses cales de cartons, de
cartons, de cartons, cales remplies ils trouvent encore de la place
dans le bus où maintenant nous, voyageurs, so
mmes en minorité, les
cartons s'entassent et tapissent le sol, par dessus lesquels des
éphèbes ruisselants posent des tapis et s'installent pour la suite
du voyage. Paysages magnifiques de campagnes vietnamiennes, jusqu'à
la frontière lao. Le bus s'arrête, tout le monde descend et moi ?
Je demande si quelqu'un parle anglais, mais visiblement non. Le
chauffeur me crie VISA VISA ! En me montrant un bâtiment,
quelques centaines de mètres plus loin, je gesticule pour lui
demander si après le visa, je reviens au bus et il beugle encore YES
YES ! Alors je monte dans la navette direction le poste
frontière, sans aucune inquiétude, et je me demande pourquoi ma
copine Catherine m'a dit que cette frontière, c'était vraiment
galère. Je vais au bureau de sortie du territoire vietnamien, ok,
puis au bureau des visa laotiens. Le gars vérifie, tamponne, me fait
payer, dans un anglais constitué de mots isolés, puis je sors du
bureau pour retourner au bus. Sauf que non, en fait, le douanier ne
veut pas me laisser repartir, je suis sur le territoire laotien,
maintenant, je ne peux plus retourner au Vietnam, là où est le bus,
ben oui, pourquoi n'y avais-je pas pensé ?... les douaniers
sont gentils, mais fermes, et surtout disent yes à tout ce que je
dis, quoi que je dise, ce qui pourrait être drôle dans certaines
circonstances. Je décide d'attendre en me disant que le bus allant
traverser la frontière de toutes manières, je le choperai au
passage. Une demi-heure. Une heure. Une heure et demi. Toujours rien.
Mon niveau de tension commençant légèrement à grimper, je me
demande comment avoir des infos et me congratule d'avoir pris le nom
de l'office par lequel j'ai réservé le voyage. Je retrouve le
numéro, mais comme j'ai Internet mais pas le téléphone, j'appelle
Patrick par WhatsApp pour qu'il appelle l'office pour qu'elle appelle
le bus pour qu'il lui dise où il est et où je suis. Pour me
rassurer. Et puis je demande aussi à Laurie, qui est toujours à
Hué, de repasser à l'office, et puis j'envoie un message facebook,
et puis je commence à me dire que peut-être, le bus est passé
quand je faisais mon visa, que je ne reverrai jamais mes bagages qui
sont à l'intérieur et que ça va être une drôle de galère pour
aller jusqu'à Pakse. Patrick a cru comprendre malgré l'accent
vietnamien prononcé que le bus arrivait dans dix minutes, et Laurie
me dit de même. Quant à la dame de l'office, elle me répond par
facebook « you waite body help me », ce qui doit vouloir
signifier quelquechose mais me semble sur l'instant assez abscons.
Dix minutes, vingt minutes, trente, une heure. J'avance côté
laotien au cas où il soit garé un peu plus loin mais rien.
J'empoigne google traduction pour tenter d'entrer en communication
avec le douanier, mais l'internet ne passe plus, il est désolé pour
moi et je regrette tellement la robe que Laurie m'a offerte et qui
est dans mon sac à dos ! Jamais je ne la reverrai. Quand une
jeune femme à côté me dit « the bus to Pakse is
coming ! »... un mélange de soulagement intense et de
haine m'envahit. Elle aurait pu se manifester avant, l'anglophone...
La dernière demi-heure passe plus sereinement, jusqu'à ce que je
voie ce bus qu'ils avaient encore réussi à charger, en hauteur,
cette fois, pointer le bout de son nez... et tout à coup tous mes
compagnons de voyage sortent du resto en face de la douane, une
floppée de reposés et moi, l'affamée, la paumée, nous remontons
dans le bus et je prends mon air de celle qui savait bien qu'il
fallait pas s'inquiéter. Il est 15h30.
Côté lao les choses
sont vite posées, et le contraste avec le Vietnam me saute à la
gorge. On s'est éloignés de la mer et les herbes sont jaunes,
brûlées de soleil. On est loin de la luxuriance des jardins
pamplemoussiers de Hué. Le long des routes vietnamiennes, de celles
que j'ai faites, de celles que j'ai regardées, je n'ai pas vu de
villages faits de maisons en bois, en bambou, en tôle, sur des
bosses de terre poussiéreuse. Je n'ai pas vu de gens qui se lavent
dans des filets de rivières ni de vaches efflanquées brouter des
restes de paille de riz. Je suis saisie par la pauvreté qui suinte
le long des routes laotiennes, par la désolation des paysages, et en
même temps je vois tous ces gens qui vivent ensemble, dehors, ces
enfants qui jouent avec rien, ces animaux en liberté, ces hamacs
tendus entre les arbres. Sa sa. Doucement. Je me demande si ces gens
se sentent pauvres.
Le bus s'enfonce dans la
nuit jusqu'à Savanaket, et c'est là que je descends. Moi seule,
j'ai une correspondance pour Pakse, les éphèbes me débarquent et
me disent d'attendre sur un banc sale, au milieu de nulle part. Les
gars qui zonent me regardent en rigolant, il est peut-être 21h, et
des dames vendent des brochettes de poulet grillé , je ne sais
pas trop à qui. Moi je mange mes mangues séchées, sereine. Une
petite demi-heure plus tard s'arrête un bus et des cris :
PAKSE ! PAKSE ! Je ne comprends pas comment de ce qui
semble être un fantastique bordel sort au final un trajet minuté et
parfaitement organisé. Ils ont balancé mes bagages par la fenêtre
arrière de ce bus dont le confort m'a vite fait regretter les
cartons du précédent. Un bus ordinaire, faut monter à l'arrière
parce qu'un scooter occupe l'entrée de devant, et dépasse un peu
sur la route. Une vitre sur deux, des sièges cassés de quand tu
t'assois tu glisses en avant, des poules, une chèvre qui bêle
pendant des heures, la pauvre, des néons qui s'allument à chaque
arrêt et le mec qui gueule où on est pour que ceux qui dorment se
réveillent !... je cherche une place, dans ce bazar, et
j'aperçois une petite et vieille dame seule sur sa banquette. Je
m'approche, lui demande si je peux m'asseoir et gentiment, avec un
grand sourire, elle me répond non, et me montre l'arrière du bus,
rempli. Sa proposition me semblant très inadaptée, je commence à
m'installer à sa droite mais elle ne bouge pas, ne sourcille pas, ne
me vois pas. Je me retrouve avec ¾ de fesses sur l'accoudoir et un
doux bruit de mastication, quelques dents retsantes sur des œufs
durs... Je pousse un peu, je joue du bassin, j'arrive à m'immiscer.
Bo penyang. Et je m'endors... bercée par la vie d'ici...jusqu'au
moment où quelqu'un me secoue, il est 1h30, je suis arrivée. Ils
savaient que je descendais, mes bagages sont sur le trottoir avant
moi. Un tuk tuk m'attend pour me mener à l'hotel, et m'extorque une
somme disproportionnée, c'est de bonne guerre... je me glisse entre
les draps du dortoir, enfin.
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