mardi 17 mars 2020

Chronique exilée #1


18 mars, 10h du matin. Le mois dernier, le monde était différent. J'assiste à ça du Laos, je ne suis pas chez moi, je n'ai plus de repère. Tout bascule.

Début janvier j'étais dans le presque cœur du cyclone, à côté de la Chine. Mes proches s'inquiétaient un peu, de me savoir ici. Le vent a tourné. Doucement, d'abord, puis s'est accéléré. On a commencé à entendre qu'il y avait des cas en Italie, en Espagne, en France, rien d'inquiétant. Puis au Vietnam, alors qu'ils avaient soigné les derniers cas, une recrudescence due au retour sur le sol d'une jet setteuse adepte des défilés de mode italiens, et des mesures drastiques. Fermeture des frontières aux européens. Le vent tourne. Dans ces pays anciennement colonisés, où restent des traces profondes du passage des français, on est aujourd'hui pestiférés. On nous raconte des histoires de français coincés sur un bateau croisière, au large des côtés cambodgiennes, refusés par tous les pays limitrophes. On entend des cas de personnes hagardes dans les rues vietnamiennes, refusées par les hotels, les restaurants, les bus. On nous raconte des descentes de militaires chopant des européens effrayés pour les mettre en quarantaine. Ça fait bizarre, ça, de savoir sa « race » rejetée. Comme un rire grinçant, tu as voir ce que ça fait.

L'heure n'est plus au tourisme. Chacun fait son choix ; tenter de rentrer, tant bien que mal, ou rester. Rester.

Je suis partie pour rompre avec mon quotidien. Pour sortir de ma zone de confort, comme on dit. J'ai passé 3 mois à découvrir la richesse de la philosophie permaculture, à m'imprégner des bribes de culture laotienne auxquelles j'avais accès, à apprendre à vivre avec des gens fondamentalement différents de moi. Je me suis enrichie, profondément.
Une parenthèse de presque 3 semaines de vacances au Vietnam, touriste lambda, nomade, backpack, légère.
Maintenant une autre étape du voyage s'amorce. Inconnue. J'entre, comme beaucoup, dans une période où seront révélées mes propres capacités. Où la remise en question sera essentielle. La déstabilisation du monde comme on le connaît doit être accompagnée d'une révolution intérieure. Redéfinir ses priorités. Il se dit officieusement que le Laos compte une cinquantaine de cas et que les mesures prises seront fidèles au régime. Je suis loin de la ville et des foules, je crois que je suis en sécurité.

Vue d'ici, la France est en état de guerre. J'imagine le vent faisant rouler les feuilles mortes dans les rues vides. J'imagine mes nièces jouant silencieusement dans un coin sombre des salons pendant que leurs parents calculent les rations des semaines à venir et mes parents désherbant compulsivement les massifs « en attendant ».

En attendant.

Le temps suspend son vol, les caféiers fleurissent et embaument la nouvelle ère.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire