dimanche 29 mars 2020

Au royaume de fort fort lointain...


Je suis assise sur le canapé de l'hôtel. Vientiane. 29 mars. Avant-hier je pensais encore que j'allais passer quelques mois dans l'écrin de verdure où j'étais logée et nourrie en échange de mon travail, sur le plateau des Boloven. Je ne comprenais pas les gens, sur les groupes de voyageurs, qui continuaient à bouger, à potentiellement diffuser le virus, à se mettre en danger et à mettre en danger les autres. C'était facile, j'étais bien.

Et puis... lentement le Laos qui me semblait depuis début novembre une source inépuisable de découvertes et d'étonnement m'a claquée dans toute sa différence. J'ai compris à quel point je ne comprenais pas. La montée du racisme décrite par les voyageurs, les forces de police embarquant les gens pour des quarantaines, les discours évoquant un danger physique... l'angoisse est montée, avec le sentiment d'insécurité. Plutôt hypothétique pour l'instant, l'insécurité, mais dans ce manque de repères que j'ai recherché, qui m'a stimulée, et enrichie, aujourd'hui je perds pied. J'ai peur. Je ne sais pas à quoi m'attendre et l'imagination va bon train, alimentée par celle de ceux certains que nous vivons là, aujourd'hui, un effondrement global de la civilisation qui peut tourner au vinaigre.

Je crois comme nombre de nous que notre système fonce dans le mur et que l'effondrement est inévitable, et nécessaire. J'ai beaucoup écouté ceux qui en parlent, dans les derniers mois particulièrement, dans les dernières semaines surtout. Intellectuellement, je comprends, j'adhère souvent.

Mais au pied du mur, quand les questions se transforment en hypothèses tangibles, les tripes prennent le dessus et après l'injonction de l'ambassadeur aux touristes de rejoindre la capitale, en une demi-journée j'ai tout lâché pour monter, seule, dans ce tuk tuk dégueu qui passait sur la route Paksong/Pakse. Je me suis précipitée à Vientiane, comme les autres que je fustigeais, pour attendre dans un hôtel un éventuel rapatriement, et me voilà.

Le tuk tuk m'a déposé à un arrêt de bus, comme je lui avais demandé, non sans avoir tenté de nous escroquer, mon sac à dos, ma tête de blanche et moi. Un bus local partait un quart d'heure plus tard pour Vientiane et pour 100 000kip, soit 10euros - Banco, je n'ai pas hésité une demi seconde, persuadée que c'était mon jour de chance. Haha. J'embarque dans ce bus, donc, pour, je crois, une dizaine d'heures et devant l'état du destrier je doute profiter du voyage mais soit. Circonstances exceptionnelles. Départ 8h30, arrivée... 4h. Oui madame. Pour 600 petits km, je ne sais quels tours et détours nous avons faits dans ces campagnes pelées, tellement long !... j'ai dormi un peu, chatté beaucoup, béni toute cette bande d'amis présents de loin sur WhatsApp, encourageants, aidants, aimants, quelle chance j'ai !... arrivée de nuit à l'hôtel, porte fermée bien évidemment, j'ai tambouriné comme une acharnée à la vitre avant de me rendre compte que la porte d'à côté, elle, était ouverte. Le réceptionniste, en m'attendant, s'était, je pense, bien attaqué à la Bierlao, marmonnait sous son masque une bouillie d'anglais et de laotien que j'ai fini par interrompre en lui prenant les clés des mains, et promettant de le payer le lendemain. Il a pas bronché.
Oualah mes frères, je me suis rarement offert des hôtels comme ça, salle de bain dans la chambre, piscine et tout. Le must c'était le petit rasoir emballé à disposition près du savon qui m'a permis, d'abord, de me raser les aisselles en me réjouissant de me sentir plus humaine, et ensuite de remercier le vacillement de ce monde qui me fait penser qu'être humaine, c'est être rasée.
Ptit déj du lendemain avec tout plein de français, comme moi fraîchement débarqués à l'appel du tocsin. Thème de conversation unique. De nouveau pour moi anxiogènes, me parlent de documents à fournir pour prendre un vol maiscommentt'espasaucourant, et d'assurance qui doit couvrir je sais pas quoi maissitulaspastuvaspasembarquer, mon cœur s'emballe et je cours vers les Graal... au coin d'une rue j'aperçois cette famille que j'ai croisée ailleurs une fois, deux fois, trois fois, cette quatrième fois est un signe, je les hèle. Leur légèreté me fait du bien. Les enfants me font du bien. Leur confiance en la suite me fait du bien. Je reste avec eux toute la journée et j'oublie les graal, jusqu'à changer d'hôtel pour être près d'eux. La famille.

J'ai connu Vientiane à mon arrivée au Laos, puis lors de cette semaine d'appendicite début janvier. J'avais trouvé la ville trop
grouillante, trop bruyante, trop polluée, trop de tout partout et aujourd'hui... la chaleur pèse sur la vacuité des rues. Les rideaux sont tombés sur les restaurants, les auberges de jeunesse, les shops de toutes sortes qui fleurissaient à chaque coin de rue. Une voiture de temps en temps, quelques tuk tuk désoeuvrés. Pas d'autre chat que ces touristes errants, hagards, cherchant un endroit où manger. Presqu'uniquement des français, et l'on refait communauté ! une chaleur qui ne fait pas transpirer. Je passe de longs moments avec eux, et puis je ferme la porte de ma chambre de semi-luxe. « Best home away from home ».

Je suis seule, nue, face mon sac à dos, à 10 000km de ceux que j'aime, sans savoir comment ni quand je remettrai les pieds chez moi, et soudain son contenu me semble terriblement futile. Mon appareil photo auquel je tenais tant, plein de ces presque 5 mois de regards croisés, de détails que je voulais graver. Ma boîte à
merveilles, cette boîte en carton que mes cousines m'ont envoyée ici pleine de gâteaux de Noël, que j'ai avidement vidée pour la remplir de cailloux, de graines, de feuilles, de petits bouts de riens que j'aime caresser du doigt et de l'oeil, et qui ne servent à rien. Les quelques souvenirs que j'ai serrés pour ma famille. Mes bijoux, mes 4 paires de chaussures et mon épilateur électrique, sérieux. J'ai le sens des priorités. Le contenu de mon sac 1ers secours a changé. J'y ai mis l'album photo que mon frère m'a offert avant mon départ, la petite boîte cœur de mes parents, le foulard de Sarah, la pierre de lune de Denis. Un livre, et mon téléphone. Sans lien je meurs.

Au pied du mur, quand les questions se transforment en hypothèses tangibles, les priorités de chacun se dégagent, et c'est parfois douloureux. Mes choix m'ont amenée ici, à ça, et je ne regrette rien parce que j'ai toujours fait ce que je pensais le mieux. Pas à pas la situation va se décanter, pour moi comme pour vous, là-bas, qui faites partie de ma vie et qui vivez différemment ces temps incertains. On courbe l'échine et après on recommence autrement ?

Vous me manquez.



jeudi 19 mars 2020

Putain, deux ans...

Elle ouvrait ses yeux il y a deux ans aujourd'hui, ma nièce, ses beaux yeux bleus étonnés sur sa bouille toute ronde de bébé. Prête à la vie, ma Schmoke.

Il y a deux ans aujourd'hui, une épidémie de grippe confinait son premier cri. Son papa, sa maman, et elle, dans leur bulle d'éternité. Instants privilégiés.

20 mars 2020. Son papa, sa maman, et elle, confinés encore. Ma petite boule aux yeux bleus commence à parler, et continue de comprendre. Pas réussi à dormir, dans le lit-maison de sa jolie chambre toute neuve. Elle se demande ce qui se passe, dans ce drôle de monde qu'elle apprend à connaître.

Elle ne sait pas encore que nous, les grands, avons saccagé ce qui aurait pu être son paradis.
Elle ne sait pas encore qu'on a étouffé les tortues de nos sacs en plastique, brûlé des forêts primaires pour assouvir nos désirs consuméristes, appauvri la terre, intoxiqué l'air.
Elle ne sait pas encore à quel point nous nous sommes isolés les uns des autres, roulant chacun dans sa vie étriquée, métro boulot dodo, elle ne sait pas encore comment nous avons pu tellement nous éloigner de l'essentiel. Partager, échanger, aimer. Planter. Respirer. Embrasser, rire, jouer. Caresser un lapin. Ramasser un haricot. Tremper l'orteil dans la rivière.

Que ressentira-t-elle quand elle comprendra? 

J'ai honte, honte d'avoir participé à toute cette mascarade, et encore plus d'espérer en secret que tout redevienne comme avant. Parce que j'ai peur. J'ai honte et j'ai peur, et j'ai honte d'avoir peur.

Elle ouvrait ses yeux il y a deux ans aujourd'hui, et c'est elle qui reconstruira sur le bordel qu'on lui a laissé. Avec sa force, et ses idées, avec l'amour et la confiance qu'on lui aura donnés. Elle et Tessa, Noé, Jeanne, Léonie, Gaspard, Lucien et leurs petits frères et sœurs, tous ceux là qui se demandent ce qui se passe, dans ce drôle de monde qu'il apprennent à connaître, et qu'ils vont devoir réinventer, avec l'or de leur tête et de leur cœur, que leur offrent chaque jour l'amour de leurs parents... et de leurs tantes, aussi, un peu.

mardi 17 mars 2020

Chronique exilée #1


18 mars, 10h du matin. Le mois dernier, le monde était différent. J'assiste à ça du Laos, je ne suis pas chez moi, je n'ai plus de repère. Tout bascule.

Début janvier j'étais dans le presque cœur du cyclone, à côté de la Chine. Mes proches s'inquiétaient un peu, de me savoir ici. Le vent a tourné. Doucement, d'abord, puis s'est accéléré. On a commencé à entendre qu'il y avait des cas en Italie, en Espagne, en France, rien d'inquiétant. Puis au Vietnam, alors qu'ils avaient soigné les derniers cas, une recrudescence due au retour sur le sol d'une jet setteuse adepte des défilés de mode italiens, et des mesures drastiques. Fermeture des frontières aux européens. Le vent tourne. Dans ces pays anciennement colonisés, où restent des traces profondes du passage des français, on est aujourd'hui pestiférés. On nous raconte des histoires de français coincés sur un bateau croisière, au large des côtés cambodgiennes, refusés par tous les pays limitrophes. On entend des cas de personnes hagardes dans les rues vietnamiennes, refusées par les hotels, les restaurants, les bus. On nous raconte des descentes de militaires chopant des européens effrayés pour les mettre en quarantaine. Ça fait bizarre, ça, de savoir sa « race » rejetée. Comme un rire grinçant, tu as voir ce que ça fait.

L'heure n'est plus au tourisme. Chacun fait son choix ; tenter de rentrer, tant bien que mal, ou rester. Rester.

Je suis partie pour rompre avec mon quotidien. Pour sortir de ma zone de confort, comme on dit. J'ai passé 3 mois à découvrir la richesse de la philosophie permaculture, à m'imprégner des bribes de culture laotienne auxquelles j'avais accès, à apprendre à vivre avec des gens fondamentalement différents de moi. Je me suis enrichie, profondément.
Une parenthèse de presque 3 semaines de vacances au Vietnam, touriste lambda, nomade, backpack, légère.
Maintenant une autre étape du voyage s'amorce. Inconnue. J'entre, comme beaucoup, dans une période où seront révélées mes propres capacités. Où la remise en question sera essentielle. La déstabilisation du monde comme on le connaît doit être accompagnée d'une révolution intérieure. Redéfinir ses priorités. Il se dit officieusement que le Laos compte une cinquantaine de cas et que les mesures prises seront fidèles au régime. Je suis loin de la ville et des foules, je crois que je suis en sécurité.

Vue d'ici, la France est en état de guerre. J'imagine le vent faisant rouler les feuilles mortes dans les rues vides. J'imagine mes nièces jouant silencieusement dans un coin sombre des salons pendant que leurs parents calculent les rations des semaines à venir et mes parents désherbant compulsivement les massifs « en attendant ».

En attendant.

Le temps suspend son vol, les caféiers fleurissent et embaument la nouvelle ère.





samedi 7 mars 2020

L'aventure c'est l'aventure!


J'aurais bien parlé de Hué, l'historique, de sa paisible et gigantesque cité impériale, suspendue, dans la ville grouillante, de ses pharamineux tombeaux disséminés dans l'arrière pays, du parc d'attraction abandonné ou de ses trésors culinaires, des tailleurs, des scooters, des chapeaux pointus et des vendeurs de rue, de tous ces détails qui semblent faire du Vietnam un bouillon de vie extraordinaire... mais je sors de 18h de bus et ce retour au Laos mérite bien quelques lignes.
Faut savoir qu'au Vietnam, comme au Laos, il y a des agences de voyages un peu partout, où l'on peut booker un trajet, un tour de la région, une visite quelconque... toujours facile d'organiser un truc.

Il faut juste accepter et apprécier les éventuelles surprises, garder son calme et avoir confiance... je réserve donc mon trajet Hué-Paksé, du Vietnam au Laos, en passant par une frontière qui délivre des visas à l'arrivée, en faisant un petit détour de 200km car pas d'autre possibilité.

Départ prévu à 8h de la guesthouse de Hué, Vietnam, après 17 aventureux jours de vacances avec mon amie Laurie, moitié chinoise, entièrement décalée. 7H59, le moto-scooter conduit par une jeune femme arrive, j'effuse Laurie, en pleurant évidemment, et enfourche la bécane chargée de mes bagages. Ils ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait ! Sur les scooters, ils mettent tout, des familles entières, une bétonneuse traînée par l'arrière, des échelles, des montagnes de paquets !... mes bagages à côté, c'est petit joueur.
Chemin vers « l'arrêt de bus », un coin de rue pourri où ma conductrice et moi sommes seules à attendre. Ces petits moments-là qui permettent de rencontrer vraiment les gens... son travail, sa famille, son prénom qui signifie « Pour toujours », et ses inquiétudes face à l'avenir. Me demande si Paris est belle. M'emmène finalement à la vraie station de bus où je la quitte et grimpe dans ma couchette. Je suis la seule occidentale et la seule femme, un peu dévisagée, mais jamais en danger, ici. Un jeune éphèbe balance mon sac à dos sans tendresse aucune dans le fond du bus, où s'entassent déjà tout plein de trucs. Je m'allonge. Le bus part et s'arrête plusieurs fois, pour remplir toujours un peu plus ses cales de cartons, de cartons, de cartons, cales remplies ils trouvent encore de la place dans le bus où maintenant nous, voyageurs, so
mmes en minorité, les cartons s'entassent et tapissent le sol, par dessus lesquels des éphèbes ruisselants posent des tapis et s'installent pour la suite du voyage. Paysages magnifiques de campagnes vietnamiennes, jusqu'à la frontière lao. Le bus s'arrête, tout le monde descend et moi ? Je demande si quelqu'un parle anglais, mais visiblement non. Le chauffeur me crie VISA VISA ! En me montrant un bâtiment, quelques centaines de mètres plus loin, je gesticule pour lui demander si après le visa, je reviens au bus et il beugle encore YES YES ! Alors je monte dans la navette direction le poste frontière, sans aucune inquiétude, et je me demande pourquoi ma copine Catherine m'a dit que cette frontière, c'était vraiment galère. Je vais au bureau de sortie du territoire vietnamien, ok, puis au bureau des visa laotiens. Le gars vérifie, tamponne, me fait payer, dans un anglais constitué de mots isolés, puis je sors du bureau pour retourner au bus. Sauf que non, en fait, le douanier ne veut pas me laisser repartir, je suis sur le territoire laotien, maintenant, je ne peux plus retourner au Vietnam, là où est le bus, ben oui, pourquoi n'y avais-je pas pensé ?... les douaniers sont gentils, mais fermes, et surtout disent yes à tout ce que je dis, quoi que je dise, ce qui pourrait être drôle dans certaines circonstances. Je décide d'attendre en me disant que le bus allant traverser la frontière de toutes manières, je le choperai au passage. Une demi-heure. Une heure. Une heure et demi. Toujours rien. Mon niveau de tension commençant légèrement à grimper, je me demande comment avoir des infos et me congratule d'avoir pris le nom de l'office par lequel j'ai réservé le voyage. Je retrouve le numéro, mais comme j'ai Internet mais pas le téléphone, j'appelle Patrick par WhatsApp pour qu'il appelle l'office pour qu'elle appelle le bus pour qu'il lui dise où il est et où je suis. Pour me rassurer. Et puis je demande aussi à Laurie, qui est toujours à Hué, de repasser à l'office, et puis j'envoie un message facebook, et puis je commence à me dire que peut-être, le bus est passé quand je faisais mon visa, que je ne reverrai jamais mes bagages qui sont à l'intérieur et que ça va être une drôle de galère pour aller jusqu'à Pakse. Patrick a cru comprendre malgré l'accent vietnamien prononcé que le bus arrivait dans dix minutes, et Laurie me dit de même. Quant à la dame de l'office, elle me répond par facebook « you waite body help me », ce qui doit vouloir signifier quelquechose mais me semble sur l'instant assez abscons. Dix minutes, vingt minutes, trente, une heure. J'avance côté laotien au cas où il soit garé un peu plus loin mais rien. J'empoigne google traduction pour tenter d'entrer en communication avec le douanier, mais l'internet ne passe plus, il est désolé pour moi et je regrette tellement la robe que Laurie m'a offerte et qui est dans mon sac à dos ! Jamais je ne la reverrai. Quand une jeune femme à côté me dit « the bus to Pakse is coming ! »... un mélange de soulagement intense et de haine m'envahit. Elle aurait pu se manifester avant, l'anglophone... La dernière demi-heure passe plus sereinement, jusqu'à ce que je voie ce bus qu'ils avaient encore réussi à charger, en hauteur, cette fois, pointer le bout de son nez... et tout à coup tous mes compagnons de voyage sortent du resto en face de la douane, une floppée de reposés et moi, l'affamée, la paumée, nous remontons dans le bus et je prends mon air de celle qui savait bien qu'il fallait pas s'inquiéter. Il est 15h30.

Côté lao les choses sont vite posées, et le contraste avec le Vietnam me saute à la gorge. On s'est éloignés de la mer et les herbes sont jaunes, brûlées de soleil. On est loin de la luxuriance des jardins pamplemoussiers de Hué. Le long des routes vietnamiennes, de celles que j'ai faites, de celles que j'ai regardées, je n'ai pas vu de villages faits de maisons en bois, en bambou, en tôle, sur des bosses de terre poussiéreuse. Je n'ai pas vu de gens qui se lavent dans des filets de rivières ni de vaches efflanquées brouter des restes de paille de riz. Je suis saisie par la pauvreté qui suinte le long des routes laotiennes, par la désolation des paysages, et en même temps je vois tous ces gens qui vivent ensemble, dehors, ces enfants qui jouent avec rien, ces animaux en liberté, ces hamacs tendus entre les arbres. Sa sa. Doucement. Je me demande si ces gens se sentent pauvres.

Le bus s'enfonce dans la nuit jusqu'à Savanaket, et c'est là que je descends. Moi seule, j'ai une correspondance pour Pakse, les éphèbes me débarquent et me disent d'attendre sur un banc sale, au milieu de nulle part. Les gars qui zonent me regardent en rigolant, il est peut-être 21h, et des dames vendent des brochettes de poulet grillé , je ne sais pas trop à qui. Moi je mange mes mangues séchées, sereine. Une petite demi-heure plus tard s'arrête un bus et des cris : PAKSE ! PAKSE ! Je ne comprends pas comment de ce qui semble être un fantastique bordel sort au final un trajet minuté et parfaitement organisé. Ils ont balancé mes bagages par la fenêtre arrière de ce bus dont le confort m'a vite fait regretter les cartons du précédent. Un bus ordinaire, faut monter à l'arrière parce qu'un scooter occupe l'entrée de devant, et dépasse un peu sur la route. Une vitre sur deux, des sièges cassés de quand tu t'assois tu glisses en avant, des poules, une chèvre qui bêle pendant des heures, la pauvre, des néons qui s'allument à chaque arrêt et le mec qui gueule où on est pour que ceux qui dorment se réveillent !... je cherche une place, dans ce bazar, et j'aperçois une petite et vieille dame seule sur sa banquette. Je m'approche, lui demande si je peux m'asseoir et gentiment, avec un grand sourire, elle me répond non, et me montre l'arrière du bus, rempli. Sa proposition me semblant très inadaptée, je commence à m'installer à sa droite mais elle ne bouge pas, ne sourcille pas, ne me vois pas. Je me retrouve avec ¾ de fesses sur l'accoudoir et un doux bruit de mastication, quelques dents retsantes sur des œufs durs... Je pousse un peu, je joue du bassin, j'arrive à m'immiscer. Bo penyang. Et je m'endors... bercée par la vie d'ici...jusqu'au moment où quelqu'un me secoue, il est 1h30, je suis arrivée. Ils savaient que je descendais, mes bagages sont sur le trottoir avant moi. Un tuk tuk m'attend pour me mener à l'hotel, et m'extorque une somme disproportionnée, c'est de bonne guerre... je me glisse entre les draps du dortoir, enfin.