dimanche 15 décembre 2019

Le vieux qui aimait garder les mystères entiers


Y'a pas à dire, la température a vachement monté. Ce matin, j'ai pas eu à mettre la polaire par dessus ma doudoune que je mets sur la veste qui est sur mon t shirt par dessus mon pyjama. Tu te plains ? demande Patrick. Pourtant tu les connais, les températures en dessous de 10 !... je tords le nez, en France les portes sont montées sur des chambranles à leur taille et y'a des vitres aux fenêtres... En France, je crois me rappeler qu'il y a de l'eau chaude et du chauffage...


Je bois mon café sur la terrasse, seule avec mes quatre couches. La brume caresse les palmiers. La brume caresse aussi les restes du frangipanier que j'ai dézingué juste après avoir hurlé « JE SAIS FAIRE DE LA MOTOOOOO ! »... j'ai encore des progrès à faire. Tout est calme, rien ne bouge.

Rien ne bouge ? Dans ce décor fixe un frémissement. Attire mon œil. A côté du portail, sur un gros bambou couché à côté des poubelles, un homme attend. Godot, peut-être, autre chose ou quelqu'un d'autre. De profil, un peu voûté, il fait partie, lui, de ce tout si doux. Il a ouvert et refermé notre grille, si légèrement que je n'ai rien entendu – quand est-il entré ? il est là maintenant. Juste là, sans raison, ou bien si : raison d'être juste là. Les coudes posés sur les genoux. Il attend et j'attends avec lui. Les minutes s'égrènent, et ma tasse se vide.

Ma curiosité casse pourtant la poésie du moment.

Je me lève, et m'avance vers lui, les mains jointes, le hèle, il déplie son corps rouillé et ses grands yeux, brumeux comme le matin. Je crois qu'il m'attendait.

Je lui dis plein de mots et il me répond plein de mots. Je fais des gestes, il en fait aussi. Je répète, il répète peut-être, ou dit autre chose ? Il me fait 3 avec les doigts, je lui demande s'il attend 3 personnes. Si ça se trouve il veut attendre 3 jours ? Il m'explique patiemment, je réponds d'un regard désolé. On fait tous deux l'effort pour l'autre, résultats peu probants. Quelqu'un qui comprendrait les deux langues rigolerait certainement beaucoup de notre échange de sourds. De mon interlocuteur je sentais l'entrain s'affaiblir lorsque soudain je compris un mot... un mot, un lien, un lien, une brèche dans le mur qui nous sépare ! Il avait parlé de Moon, qui habite sur le terrain. Moon ? Moon ? Répétai-je galvanisée par cette inattendue connivence. Moon ! Moon ! Scella-t-il notre union langagière. Il se dirigea derechef vers la maison dudit homme suscité mais néanmoins absent pour quelques jours dans un élan digne d'Usain Bolt, je le suivis, intriguée, et devant la porte de la cabane en taule je sentis le frémissement d'un revirement de situation, le souffle court, le cœur en suspends, la tension battait son plein lorsque le vieux se retourna, brandissant... une clé ! LA clé ! J'allais enfin tout comprendre ! Il glissa la ferraille dans la serrure, poussa d'un geste déterminé la porte branlante, mit un pied sur la marche et y glissa son buste qui disparut dans l'obscurité. Déposa son sac. Referma la porte. Se retourna. Me jeta un regard terriblement satisfait, me sourit, moi devant, haletante. Dit quelques mots qu'étrangement je m'attendais à comprendre (mais non), avança de quelques mètres et... s'assit sur le banc.

Le dos voûté, le regard fixe, immobile, il clôt la scène. Il me laisse hagarde d'incompréhension, et je reprends ma place dans son tout. Je lâche. J'accepte. Je rentre chez moi.


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