J’avais écrit quelques mots pour
Charlie, mais la profusion d’hommages m’étouffe. Je ne veux pas que la réaction
à l’événement ne devienne pour moi plus importante que l’événement lui-même, ce qu'il signifie et ses conséquences. Je
ne publierai donc pas mon petit texte mais je veux juste en poser là
l’essentiel : il m’est intolérable qu’aujourd’hui un homme tue un autre
homme de sang froid, pour quelque raison que ce soit.
Finie 2014.
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Ernest et moi vous adressons nos meilleurs voeux ! |
2014 est finie. Agitée à très agitée. Du quotidien dur et dingue
ponctué de chaudoudoux sur la première moitié, un décrochement total sur la
deuxième. De nombreux voyages, des amis, des partages, dans la souffrance ou
dans le rire, des kilomètres en avion, en voiture, et des rencontres.
Il y a eu Dieu, ensuite. Oui oui,
Dieu. Il a la quarantaine tassée, il est petit, bedonnant et il pue des pieds. Il a vachement investi en moi, parce que quand même,
il trouve que je suis une nana maline, et puis je crois que ça lui déplaît pas de se
promener au bras d’une minette de 30 ans. Il m'aimait bien, je lui faisais penser à la pépette de Renaud. La pas vraiment bêcheuse, la pas du tout
affreuse, qu’avait des idées vicieuses sous ses chveux jaunes, même si bon, j'ai pas les chveux jaunes. Mais voilà, je l'ai déçu, il a rien pu faire de moi. Je fais partie de ces filles, tu
vois, j’en demande trop. J'aime bien qu'on réponde à mes messages, j'aime bien qu'on soit à l'heure, j'aime bien qu'on s'occupe de moi. Seulement, lui, il a pas que ça à penser, il doit faire gagner les verts à la mairie
de Montreuil. Parce que Dieu, il est hyper engagé, il a des idées et tout! il bosse pour un maire écolo et défile avec les verts, mais il veut pas d'étiquette, c’est un expert, pas un politique. Un expert en communication. Il en dit jamais trop ni pas assez, il arrive à te faire faire et penser des trucs en te faisant croire que c’est ton idée. Moi je suis nulle à ça,
d’ailleurs il me l’a dit : toi ton problème dans tes relations c’est que
tu fais des erreurs de com. Il a raison, la spontanéité, ça craint, après tu fais des erreurs. C'est parce que lui il sait faire qu'il passe à la télé, Dieu, mais ouais, non, franchement, ça me fait rien. Il
dit qu’il s’en fout d’être connu, il est hyper simple, tu vois. C'est pour ça qu'il murmure qu’il doit
rappeler Camille, parce que ça
fait longtemps qu’il l’a pas eue au téléphone, il aurait pu se pavaner Ouais moi je connais Camille mais non non non, il en fait jamais trop, l'humilité l'habite! Par exemple il s'est pas étalé sur le fait qu'il a foutu un mec baraqué par terre qui l'avait provoqué, il m’a pas non plus raconté en détails son pot au café de
Flore avec Stéphane R0zès. J'ai fait la gueule à cause de son heure et demie de retard sans prévenir, et bien il me l'a même pas reproché. Il a juste eu l’élégance de me payer le resto pour que j'aille mieux. Dieu, c'est l'homme le plus classe du monde.
Bon, en vérité aujourd’hui Lui et moi on est brouillés parce que j'ai été méchante, et je le confesse, j'ai eu des pensées blasphématoires. J'ai pensé qu'il avait un ego boursouflé. C'est la faute aux démons! Sur mon épaule! Dans mon oreille ! Ils résonnaient dans ma tête ! Ne crois plus en Lui ! Ne crois plus en Lui!... je suis faible, je leur ai cédé.
J'ai pu oublier Dieu et ma crise de foi là où il n'était certainement pas au printemps 94, et j'ai croisé la route de Léo. Vu de loin il est discret, avec sa casquette délavée et sa chemise à carreaux, mais il cache bien son jeu, le drôle. Certains l’appellent Léo, c’est un diminutif, d’autres Maratanga, parce qu’au Rwanda on appelle souvent les gens par leur nom de famille, mais moi je l’appelle Léo. Il n’est pas très
grand, il a la jeunesse éternelle du mec
optimiste et le regard perçant de celui qui dit rien mais qu’en pense pas moins. Il
court de partout, téléphone tout le temps, et ce qui le fait beaucoup rire, c'est les cons en vélo qui pédalent dans les descentes, allez, prends-le en photo! Léo est un bon vivant. Il adore les arachides préparées par sa femme. Isabelle, elle fait bien les arachides. Il
met du citron sur tous les plats et trouve que le rhum, c’est pas mauvais
alors il en boit 3 verres malgré son diabète. Léo est têtu comme un âne et quand il a décidé un truc, vazy pour le faire changer d'avis. Par exemple, il pleut pas quand c'est pas la saison des pluies. Mais regarde, Léo, il pleut, là, non ? mais non, c'est pas la saison. C'est pas la vraie pluie. C'est pas la saison.
Léo a vécu la guerre, comme les autres il a du partir, avec ses enfants, sur les routes poussiéreuses des mille collines, fuyant la mort. Il s’engage depuis, discrètement, dans la lente reconstruction du pays, en embauchant des jeunes pour tout et pour rien, en leur donnant un cadre qui les motive et les pousse au-delà de leurs limites. Il s’inquiète de tout le monde et s’occupe de chacun. Beaucoup. Sans lui, la ville sera différente. Léo s’inquiète beaucoup pour mon frère et l'appelle à 2h du matin pour savoir s'il est rentré du match. Qui était à 17h. Il faut manger, Maxime, t’es tout maigre, là ! il faut manger des brochettes. Comme ce soir-là, dans l’une des maisons que tu as construites et que tu louais à ces fous d’étudiants belges, la soirée pleine de rires, de musique et de chèvre en cubes ! Tu portais ta belle veste en soie, celle que tu as achetée au marché avec ton ami d’ici de là-bas, qui vous rendait tellement fiers. Ce soir-là, aussi, tu nous as expliqué que quand on a bu, il vaut mieux rentrer en voiture, c’est plus sûr. On a bien rigolé.

Bon, en vérité aujourd’hui Lui et moi on est brouillés parce que j'ai été méchante, et je le confesse, j'ai eu des pensées blasphématoires. J'ai pensé qu'il avait un ego boursouflé. C'est la faute aux démons! Sur mon épaule! Dans mon oreille ! Ils résonnaient dans ma tête ! Ne crois plus en Lui ! Ne crois plus en Lui!... je suis faible, je leur ai cédé.
J'ai pu oublier Dieu et ma crise de foi là où il n'était certainement pas au printemps 94, et j'ai croisé la route de Léo. Vu de loin il est discret, avec sa casquette délavée et sa chemise à carreaux, mais il cache bien son jeu, le drôle. Certains l’appellent Léo, c’est un diminutif, d’autres Maratanga, parce qu’au Rwanda on appelle souvent les gens par leur nom de famille, mais moi je l’appelle Léo. Il n’est pas très
Regarde, il pédale en descente ! |
Léo a vécu la guerre, comme les autres il a du partir, avec ses enfants, sur les routes poussiéreuses des mille collines, fuyant la mort. Il s’engage depuis, discrètement, dans la lente reconstruction du pays, en embauchant des jeunes pour tout et pour rien, en leur donnant un cadre qui les motive et les pousse au-delà de leurs limites. Il s’inquiète de tout le monde et s’occupe de chacun. Beaucoup. Sans lui, la ville sera différente. Léo s’inquiète beaucoup pour mon frère et l'appelle à 2h du matin pour savoir s'il est rentré du match. Qui était à 17h. Il faut manger, Maxime, t’es tout maigre, là ! il faut manger des brochettes. Comme ce soir-là, dans l’une des maisons que tu as construites et que tu louais à ces fous d’étudiants belges, la soirée pleine de rires, de musique et de chèvre en cubes ! Tu portais ta belle veste en soie, celle que tu as achetée au marché avec ton ami d’ici de là-bas, qui vous rendait tellement fiers. Ce soir-là, aussi, tu nous as expliqué que quand on a bu, il vaut mieux rentrer en voiture, c’est plus sûr. On a bien rigolé.
Le matin du 8 janvier, préoccupée
encore par le carnage de Charlie, le petit dans un coin de mon coeur et Dieu aux oubliettes, j’apprends que Léo s’est éteint pendant la
nuit, doucement, dans son sommeil. Sans prévenir. Mes pensées volent vers le
Rwanda, si loin, vers sa femme, vers ses enfants, vers ses amis. Et maintenant, le silence.
Merci pour tout, Léo.
RépondreSupprimerEt merci à ma soeur d'avoir si bien consigné ici ce qui fait que tu étais si spécial, pour que je ne t'oublie pas.
Les médias envahissent nos maisons. On en oublierait presque que la vie continue, que le malheur frappe sans prévenir. Partout dans le monde des crimes sont commis au nom de quoi?ou de qui? Et puis des étoiles qui s'allement ou s'éteignent comme ton ami Léo. Pourtant la vie continue. Merci de nous rappeler la réalité. Bonne année 2015 Alexia
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