mardi 13 janvier 2015

Trop d'hommages...



J’avais écrit quelques mots pour Charlie, mais la profusion d’hommages m’étouffe. Je ne veux pas que la réaction à l’événement ne devienne pour moi plus importante que l’événement lui-même, ce qu'il signifie et ses conséquences. Je ne publierai donc pas mon petit texte mais je veux juste en poser là l’essentiel : il m’est intolérable qu’aujourd’hui un homme tue un autre homme de sang froid, pour quelque raison que ce soit.

Finie 2014.
Ernest et moi vous adressons
nos meilleurs voeux !
2015 avance prudemment, comme un jeune enfant tentant ses premiers pas. Je tangue, je tâtonne, j’hésite, j’ai peur et confiance à la fois, je rebrousse chemin, finalement j’y retourne, je tombe, je me relève avec des bleus. Qui passent. Comme chaque début d’année je me dis cette fois, c’est la bonne ! t’as regardé filer la dernière, faut te secouer ma vieille. Mais avant, un instant, je me pose et regarde derrière moi.

2014 est finie. Agitée à très agitée. Du quotidien dur et dingue ponctué de chaudoudoux sur la première moitié, un décrochement total sur la deuxième. De nombreux voyages, des amis, des partages, dans la souffrance ou dans le rire, des kilomètres en avion, en voiture, et des rencontres.

Le petit. Arrivé dans ma classe en septembre 2013, qui disait non non non à chaque question. Tout noir, tout minus, tout fragile. D’une pichenette il tombe, mais lui il se croit super fort, tu vas voir le chien de mon père il va te manger. Le petit avec ses bras en cure-dents, ses dents de travers et ses grands yeux qui lancent des éclairs. Son papa a perdu toute sa famille dans l’incendie de leur immeuble alors, désespéré, il a fait venir sa deuxième famille du pays. Eux, ils habitaient un village avec des animaux en liberté, du sable sur le sol et des maisons en terre, dans un autre monde, là-bas, plus au sud. Le petit est arrivé à 3 ans, avec sa maman et ses frères, tous subitement déracinés pour être greffés dans l’univers parisien de béton, pollution, agression. Le petit garçon. Sa maman n’arrive pas à l’aimer, elle reste enfermée au soleil de son Afrique et son Papa est décontenancé, il ne comprend pas pourquoi le petit en arrive là. Il s’échappe de l’école. Il menace de se tailler les veines. Il saute par-dessus la balustrade du balcon. J’ai eu tellement, tellement peur pour le petit. Ses jambes et son cœur sont tellement fragiles. Il continue à dire non non non, il se met en colère à la moindre occasion, il crie, sale pédé va enculer ton père, il tape fort, il mord, il fait mal, il dit qu’il veut mourir !... il faut que je le maintienne pour l’empêcher de faire tout ça. Il veut que je le maintienne pour le protéger de tout ça, et je sens son petit cœur qui ralentit, ses muscles qui se détendent et sa respiration qui se calme. Il dit non non non mais il se serre contre moi. Il dit oui pour une histoire. Il préfère celle de Superlapin. Mais le petit, en fait, il a pas besoin de Superlapin, ni de Supermaîtresse, il se contenterait juste d’une Maman, même pas super.

Il y a eu Dieu, ensuite. Oui oui, Dieu. Il a la quarantaine tassée, il est petit, bedonnant et il pue des pieds. Il a vachement investi en moi, parce que quand même, il trouve que je suis une nana maline, et puis je crois que ça lui déplaît pas de se promener au bras d’une minette de 30 ans. Il m'aimait bien, je lui faisais penser à la pépette de Renaud. La pas vraiment bêcheuse, la pas du tout affreuse, qu’avait des idées vicieuses sous ses chveux jaunes, même si bon, j'ai pas les chveux jaunes. Mais voilà, je l'ai déçu, il a rien pu faire de moi. Je fais partie de ces filles, tu vois, j’en demande trop. J'aime bien qu'on réponde à mes messages, j'aime bien qu'on soit à l'heure, j'aime bien qu'on s'occupe de moi. Seulement, lui, il a pas que ça à penser, il doit faire gagner les verts à la mairie de Montreuil. Parce que Dieu, il est hyper engagé, il a des idées et tout! il bosse pour un maire écolo et défile avec les verts, mais il veut pas d'étiquette, c’est un expert, pas un politique. Un expert en communication. Il en dit jamais trop ni pas assez, il arrive à te faire faire et penser des trucs en te faisant croire que c’est ton idée. Moi je suis nulle à ça, d’ailleurs il me l’a dit : toi ton problème dans tes relations c’est que tu fais des erreurs de com. Il a raison, la spontanéité, ça craint, après tu fais des erreurs. C'est parce que lui il sait faire qu'il passe à la télé, Dieu, mais ouais, non, franchement, ça me fait rien. Il dit qu’il s’en fout d’être connu, il est hyper simple, tu vois. C'est pour ça qu'il murmure qu’il doit
rappeler Camille, parce que ça fait longtemps qu’il l’a pas eue au téléphone, il aurait pu se pavaner Ouais moi je connais Camille mais non non non, il en fait jamais trop, l'humilité l'habite! Par exemple il s'est pas étalé sur le fait qu'il a foutu un mec baraqué par terre qui l'avait provoqué, il m’a pas non plus raconté en détails son pot au café de Flore avec Stéphane R0zès. J'ai fait la gueule à cause de son heure et demie de retard sans prévenir, et bien il me l'a même pas reproché. Il a juste eu l’élégance de me payer le resto pour que j'aille mieux. Dieu, c'est l'homme le plus classe du monde.
Bon, en vérité aujourd’hui Lui et moi on est brouillés parce que j'ai été méchante, et je le confesse, j'ai eu des pensées blasphématoires. J'ai pensé qu'il avait un ego boursouflé. C'est la faute aux démons! Sur mon épaule! Dans mon oreille ! Ils résonnaient dans ma tête ! Ne crois plus en Lui ! Ne crois plus en Lui!... je suis faible, je leur ai cédé.


J'ai pu oublier Dieu et ma crise de foi là où il n'était certainement pas au printemps 94, et j'ai croisé la route de Léo. Vu de loin il est discret, avec sa casquette délavée et sa chemise à carreaux, mais il cache bien son jeu, le drôle. Certains l’appellent Léo, c’est un diminutif, d’autres Maratanga, parce qu’au Rwanda on appelle souvent les gens par leur nom de famille, mais moi je l’appelle Léo. Il n’est pas très
Regarde, il pédale en descente !
grand, il a la jeunesse éternelle du mec optimiste et le regard perçant de celui
 qui dit rien mais qu’en pense pas moins. Il court de partout, téléphone tout le temps, et ce qui le fait beaucoup rire, c'est les cons en vélo qui pédalent dans les descentes, allez, prends-le en photo! Léo est un bon vivant. Il adore les arachides préparées par sa femme. Isabelle, elle fait bien les arachides. Il met du citron sur tous les plats et trouve que le rhum, c’est pas mauvais alors il en boit 3 verres malgré son diabète. Léo est têtu comme un âne et quand il a décidé un truc, vazy pour le faire changer d'avis. Par exemple, il pleut pas quand c'est pas la saison des pluies. Mais regarde, Léo, il pleut, là, non ? mais non, c'est pas la saison. C'est pas la vraie pluie. C'est pas la saison. 
Léo a vécu la guerre, comme les autres il a du partir, avec ses enfants, sur les routes poussiéreuses des mille collines, fuyant la mort. Il s’engage depuis, discrètement, dans la lente reconstruction du pays, en embauchant des jeunes pour tout et pour rien, en leur donnant un cadre qui les motive et les pousse au-delà de leurs limites. Il s’inquiète de tout le monde et s’occupe de chacun. Beaucoup. Sans lui, la ville sera différente. Léo s’inquiète beaucoup pour mon frère et l'appelle à 2h du matin pour savoir s'il est rentré du match. Qui était à 17h. Il faut manger, Maxime, t’es tout maigre, là ! il faut manger des brochettes. Comme ce soir-là, dans l’une des maisons que tu as construites et que tu louais à ces fous d’étudiants belges, la soirée pleine de rires, de musique et de chèvre en cubes ! Tu portais ta belle veste en soie, celle que tu as achetée au marché avec ton ami d’ici de là-bas, qui vous rendait tellement fiers. Ce soir-là, aussi, tu nous as expliqué que quand on a bu, il vaut mieux rentrer en voiture, c’est plus sûr. On a bien rigolé.

Le matin du 8 janvier, préoccupée encore par le carnage de Charlie, le petit dans un coin de mon coeur et Dieu aux oubliettes, j’apprends que Léo s’est éteint pendant la nuit, doucement, dans son sommeil. Sans prévenir. Mes pensées volent vers le Rwanda, si loin, vers sa femme, vers ses enfants, vers ses amis. Et maintenant, le silence.

2 commentaires:

  1. Merci pour tout, Léo.
    Et merci à ma soeur d'avoir si bien consigné ici ce qui fait que tu étais si spécial, pour que je ne t'oublie pas.

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  2. Les médias envahissent nos maisons. On en oublierait presque que la vie continue, que le malheur frappe sans prévenir. Partout dans le monde des crimes sont commis au nom de quoi?ou de qui? Et puis des étoiles qui s'allement ou s'éteignent comme ton ami Léo. Pourtant la vie continue. Merci de nous rappeler la réalité. Bonne année 2015 Alexia

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