jeudi 1 juillet 2021

Pierre à pierre

Je sortais des copains, pleine et sereine dans mon auto, mobile, et j'aurais chanté comme un pinson, j'aurais dansé la gigue. Je sortais des copains, heureuse des quelques heures à venir, seule, seule et libre, et j'hésitais à pleurer... des fois, comme ça, ça vient, et puis ça va.

Sur les petites routes du Morvan je sinuais lentement... je passai un virage, et deux, et trois, les fougères de part et d'autres, les sapins, les sapins et soudain... deux châteaux dans un jardin. Deux petits châteaux, construits là, par qui ? Je ralentis. Je m'arrêtai. J'observai. Saugrenus, ces murs en pierre, ces remparts, ces tours carrées, ces meurtrières. A hauteur d'homme, le Moyen âge. Je me perdais en rêvasseries quant bondit contre la clôture un petit bout de bonne femme gesticulant, haute comme ma pomme et cheveux blancs pétard, je baissai la vitre, elle m'interpela : venez visiter ! Venez visiter ! Garez-vous mieux, et venez ! Pas une seconde je n'hésitai.

Sans prendre un souffle elle me dit c'est moi qui ai tout fait ! Je récupère des pierres dans les champs, ils sont contents les paysans ! Je nettoie. J'ai fait les escaliers, les bancs, les murets, et un jour Pierre m'a dit en rigolant, tu vas faire quoi maintenant ? J'ai répondu un château, sans réfléchir et voilà. C'était en 2008, regardez, j'ai fait les machicoulis, j'ai pris les fondations d'un château en Bretagne, je ramasse les pierres dans les champs, je vous ai dit ? Un maçon m'a dit que le ciment d'aujourd'hui durait pas plus de 50 ans, j'aurai 120ans j'espère bien qu'ils resteront un peu plus mes châteaux. Regardez la princesse emprisonnée, j'ai du la mettre avant de monter les murs, pour qu'on puisse pas l'enlever ! Tiens, une fiente ! Un oiseau est passé par là. D'ailleurs des oiseaux ont pondu là-dedans, j'ai surveillé et j'ai filmé l'éclosion mais je sais pas où est le film. Peut-être que Pierre sait, lui. Il construit un château en bois, je vais l'appeler ! Les filles ! Descendez ! On a quelqu'un ! Pierre ! Pierre !

… un tourbillon. Une demi heure, ils m'embarqèrent, Pierre et sa femme sans nom. De leur passion, de leur bonhomie, de leur bonheur de partager. Elle sautillant, son livre d'or sous le bras, lui se voulant plus calme et d'un sourire attendri rectifiant sa femme, freinant son discours... fiers, tous les deux, de leurs ouvrages en pierre, en bois. De rigoler des Playmobils pas à l'échelle. De raconter le sénateur qu'ils ont reçu, comme moi, qu'ils n'avaient pas reconnu. De montrer la coupure de presse, d'expliquer les méthodes de défense des châteaux forts, d'évoquer le flic qui leur a dit que sa femme ne faisait caca que chez elle, et ils rigolent, et je rigole, et ils me touchent, tous les deux. Je demandai si je pouvais photographier le château en pierre, il s'écria et mon château en bois ? mettez-le sur facebook, ça nous dérange pas ! Je m'extasiais, mais pas que du travail. Je m'extasiais de leur vitalité et de leur enthousiasme, qu'ils m'offrirent sans fioriture, ils sont comme ça.

La visite se finit. J'écrivis un mot sur leur livre d'or et remerciai bien sincèrement. Je montai les escaliers et j'entendis derrière moi

  • Elle a écrit quoi, elle a écrit quoi ?

  • Mais attends elle est pas encore partie faut qu'on attende qu'elle soit partie !

De dos je souris. Entrai dans ma voiture, tournai la clé et levai les yeux pour les voir tous les deux, lui dans son t-shirt rouge trop petit sur son ventre rebondi, elle trépidant dans son jean trop grand, me faire de grands signes d'au-revoir comme si j'étais des leurs.

A Planchez - Nièvre

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