Je
plonge la main dans les graines de coriandre.
Je
plonge la main dans les graines de coriandre. Fraîches. Humides. Un
petit germe à leur bout, tout blanc, tout neuf. Lentement, je
savoure.
Chaque
goutte crantée appuie un point précis de ma peau. Chaque perle
rouge titille un point de réflexologie, déclenche une vague de je
ne sais quoi qui pique et qui enveloppe, un nuage d'images et je
ferme les yeux. Je pense. Je purge. Je pense.
Je
pense à la découverte d'un monde normal sur lequel j'ouvre mes yeux
de petite fille curieuse et mon regard d'adulte étonné.
Je
pense à la distance qui me sépare des miens, à cette proximité
que me permet la technologie. Je voulais m'isoler, j'ai l'impression
de me rapprocher. Comme un bilboquet, je suis la boule qui voltige et
reste liée à sa base. C'est comme ça pour l'instant.
Je
pense au magique avion qui me mène dans cet autre monde où,
pourtant, chacun vit comme toi, là-bas. Ici. Tout est pareil, et
tout est différent.
Chaque
ordinaire est extraordinaire, il mange, il parle, il dort, il pisse,
comme moi. Dans cet ordre là ou pas, parfois il en fait deux en même
temps.
Sauf
que lui, il mange toujours assis par terre, autour de la table,
basse, en bambou tressé, sur une natte étalée, à l'ombre. Les
plats se collent dans des plats ébréchés, usés. Un saladier d'eau
dans laquelle flottent des formes prétendument comestibles non
identifiées, une coupelle emplie de pâte de chili pilé à un fruit
inconnu au bataillon, une assiette d'herbes cuites, et puis le riz.
Riz riz riz, fifi, loulou, le riz qu'il mange matin midi et soir, le
riz gluant qu'il paie 75000 kip le kilo soit environ 75 centimes, la
conversion est facile à faire. Il le prend dans son panier de
bambou, le roule en boule dans sa main, le tamponne dans sa sauce
épicée, ou le fourre d'une feuille de salade cuite, ici on joue
avec la nourriture, c'est trop cool. On mange à chaque fois un repas
qui n'est ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre. Le
chili m'arrache la gueule à chaque bouchée de quoi que ce soit,
mais c'est le jeu, ma pauv'Lucette ? Mon palais et moi, on
s'accomode. Je me rattrape le soir où, seule cette semaine, je me
nourris de cette craquante amaranthe, de ce beurre d'avocat que je
retrouve avec délice, de ces explosifs fruits de la passion et de
ces pâtes à rien parce que j'ai pas de beurre et pas de sauce et
pas de gromage.
Toute
la journée, Lui, il parle, il crie, il rit, dans sa langue codée,
et je le regarde perdue, démunie, toutefois si fière d'avoir cru
comprendre un mot. Ou deux. Chaque jour j'en apprends. Je sais dire
fumier, poule, et fumier de poule. Repas, riz, et repas de riz. Je
sais dire eau ! C'est important quand on ne boit pas l'eau
courante. Ici on appelle pour
commander de l'eau à boire qui arrive 10 minutes après, en camion et en bouteilles de 20 litres, 40centimes la bouteille. Nam, l'eau. Nam Kan, la rivière qui caresse Luang Prabang et se jette dans les bras du Mékong. Ces amoureux communiquent plus simplement que moi avec les lao... parce qu'en dehors des mots, on n'a pas non plus les mêmes codes gestuels. Beaucoup de mal à se comprendre, et pourtant Pet m'aide beaucoup depuis ma mutilation. Elle me remplit des bouteilles d'eau depuis le fut, elle ramasse ma salade du soir. La solidarité n'a pas de culture.
commander de l'eau à boire qui arrive 10 minutes après, en camion et en bouteilles de 20 litres, 40centimes la bouteille. Nam, l'eau. Nam Kan, la rivière qui caresse Luang Prabang et se jette dans les bras du Mékong. Ces amoureux communiquent plus simplement que moi avec les lao... parce qu'en dehors des mots, on n'a pas non plus les mêmes codes gestuels. Beaucoup de mal à se comprendre, et pourtant Pet m'aide beaucoup depuis ma mutilation. Elle me remplit des bouteilles d'eau depuis le fut, elle ramasse ma salade du soir. La solidarité n'a pas de culture.
Il
dort aussi, l'extraordinaire ordinaire, il dort dans sa cahute en
tôles défoncées, rouillées, la terre battue au sol recouvert de
tapis chatoyants. Feu chatoyants. Je ne sais pas s'il a un lit, j'ai
voulu passer le regard au dedans mais n'ai pas vu. Je n'ai pas osé.
Moi je dors sur du dur et du solide, dans un vrai lit au matelas de
pierre, au baldaquin de tulle percé qui laisse passer ces connards
de moustiques. Je dors dans ma maison qui a tremblé au petit matin.
Est-ce que leur tôle tient le choc, dans ces cas-là ?
Je
sais pas s'il pisse, l'Autre, en fait, je ne l'ai jamais vu faire
mais j'imagine. Pourquoi il pisserait pas ? Il a des commodités
dans la deuxième maison en dur. Comme moi, pas de WC séparés.
Douche italienne et pas de PQ, juste un jet pour se rafraîchir. Une
habitude à prendre.
La
nuit est tombée maintenant. Les chats ronronnent, les grillons
grillonnent, les chinois chantonnent. Nasillards. Les chinois sont
légions ici, ils arrivent par cargos dans l'hôtel d'en face et
débarquent dans notre jardin avec ombrelles et appareils photos,
s'extasiant de mille cris primaux tout à fait ridicules, selon mes
propres références culturelles.
Bercée
malgré tout par la litanie des voisins, j'égrène la coriandre dans
son plat de métal. Je me sens apaisée. Je prends, j'apprends, je
suis comme ces élèves de grande section à qui j'aimais tant
enseigner, avide de chaque seconde qui peut me faire grandir.
Chaque
ordinaire et unique seconde.
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