mardi 17 septembre 2024

Dans son vieux pardessus râpé...

Un ballet de lumières bleues éclaire sa maison. Des inconnus colorés entrent et sortent en danse coordonnée, il fait nuit, c’est presque beau. Ils sont trop pour lui tout seul. L’émotion me prend la gorge : c’est fini, je sais.

On le voyait tous les jours, le vieux. Les bons, il sillonnait le village, le teint jaune et l’œil plus vif que sa dégaine, chancelant sur les trottoirs étroits. Les mauvais, il restait des heures sur sa chaise cassée, devant sa maison cassée, avec sa gueule. Cassée. Debout, assis, il avait toujours son chien hargneux en bout de laisse et lui placide, comme si la vie s’était diffusée dans la longe pour se transférer sur le chien. Le vieux était là, tous les jours, il disait parfois un mot, parfois rien, il commentait la météo, lançait un bonjour étouffé par sa barbe chargée. On savait tous qu’il existait, sans s’en parler. Pas de nom sur sa sonnette pétée: j’aime à penser qu’il ne s’appelait pas. On est tous tristes de la mort de celui à qui on parlait qu’à moitié et qu’on savait pas qui c’était.

On est tous tristes et je trouve ça formidablement beau.

Le vieux était un pilier du quartier. Sans trop parler, sans trop s’agiter. Sans rien faire d’extraordinaire.

Il avait sa place, pour rien, sans validation, sans permission, et sans retour. Pas besoin d’autre chose pour exister que d’être là.

On n’écrira pas de carte pour sa famille, on n’ira pas à son enterrement. On s’est tous donné le mot, pourtant, et on pensera à lui, souvent. A son absence en bout de laisse, à sa chaise vide - puis quelqu’un mettra un nom sur la sonnette : le vieux monsieur sera passé.

 

 

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