jeudi 20 juin 2024

#metoo

 


Mon sac est vide.

Ce matin il contenait encore

Une paire de chaussettes de foot, blanches

Un drôle de pantacourt à bretelles, blanc

Une bizarre sous-veste à un bras, boutonnée sur le cou, blanche,

Une épaisse sur-veste à deux bras, épaisse, lourde, qui serre à la gorge, blanche

Un carnet, vert

Et son stylo, bleu.

J’ai tout rendu.

C’était la dixième fois que je rejoignais ce matin dix femmes. C’était la dixième fois qu’hier j’appréhendais, la dixième fois que ce soir je remercie. C’était la dixième fois que je posais un jour de congés, ce jeudi, la dixième fois que je passais la matinée à écouter, regarder, crier, pleurer, taper, et rire, aussi. C’était la dixième fois que je partageais, que je maudissais, que je lâchais. C’était la dernière fois, ici.

J’ai 42 ans dans quelques semaines. J'ai l'histoire banale d'une vie bouleversée par des violences sexuelles subies enfant, puis adulte. Chaque jour en est tâché. Des crispations, des appréhensions, de la  tristesse, des angoisses, et de la honte. Je ne veux plus avoir honte. Mon corps est mutilé, mes rêves, ma confiance, ma sérénité aussi. Je ne suis pas là où j’aurais aimé être, j’ai mis ma force dans les combats, chaque seconde de ma vie. Je suis fatiguée. Je n’ai jamais baissé les bras.

Il y a dix mois je me suis donnée la chance de suivre des ateliers thérapeutiques d’escrime. J’ai rejoint dix femmes épuisées, traumatisées, et nous avons été accompagnées par cinq autres, formées et solides.

Seul.e.s celleux qui ont foulé le sol de cette salle d’armes peuvent comprendre ce qui s’y est passé. Une telle intensité. Une telle force. Des douleurs transcendées. Chacune ici, et à sa place. Tout a été difficile, les jours d’avant, chaque fois, le réveil qui sonne et les trajets, le corps coincé, leurs mines tendues à l’arrivée et ces sujets, ces exercices, ces échanges de parole, ces moments de panique, ces sorties d’énergies. Voir et entendre une autre hurler sa rage et son désespoir, frapper jusqu’à l’effondrement celui qui - , et supporter les larmes. Prendre le sabre, baisser le masque et y aller. Foncer. Défoncer.

Dans mon costume blanc j’ai découvert une tribu qui m’écoute, me croit, me soutient, m’encourage. Mes sœurs d’armes. Ce soir c'est dur. 

J'ai peur, sans elles. On lâche nos mains et on replonge seules dans le bain. 

Je n'ai plus peur: grâce à elles. Par elles et pour nous toutes, je continue le chemin. On continue nos chemins.

A toutes celles, à tous ceux qui, comme moi - , je veux dire: arrête de te taire et trouve quelqu'un.e qui ne doutera pas de ta parole. Raconte comme tu peux et comme tu veux ce que tu vis, et puis cherche des pairs. Elleux sauront, pourront comprendre tes sautes d’humeur inexpliquées, ton sentiment permanent de culpabilité, ton impression de planer sur la vie, ta peur panique de l’avenir, ton incapacité à construire et les contractions de tes muscles quand ils sont touchés. L'image qui passe en éclair et te tétanise. Tu n'est pas seul.e, tu n'as pas perdu la raison, et des gens peuvent t'aider. Promis.

Association Stop Violences Sexuelles - Ateliers thérapeutiques d'escrime