lundi 1 janvier 2024

Point de suspension

Bercée par le feu de cheminée, percée par sa chaleur dans mon dos, je laisse traîner le regard sur chacun et sens chauffer les petits bouts de moi qui sont faits d’eux. Quatre, trois, deux. Ma famille. Et moi : une. Ça papote, ça gigote, ça rigole et ça s’écrie. Ça déchire les papiers, ça s’exclame, ça remercie. Ça fait semblant de croire Père Noël. Il est passé !

-          C’est moi, le Père-Noël, dit Papa. J’ai 5 ans et je vois le gros en rouge et blanc partout, ça peut pas être mon Papa, mais mon Papa ment pas.

Je me crispe sur ces souvenirs traversant, et ces dernières minutes 2023. Prendre le temps de les laisser fondre sur ma langue, ces petits bouts de rien qui font les petits bonheurs des petites vies, tant qu’ils sont là... Suffit de pas grand-chose pour sentir à l’intérieur le cœur qui gonfle, le ventre qui chauffe, la gorge qui serre. Chez moi l’émotion condense et les larmes coulent – systématique. J’essaie, mais peux pas faire autrement. Ça déborde. J’ai demandé plusieurs fois à mon neveu si je pouvais lui faire un bisou. Il répond non, tête haute. Je voudrais l’assaillir pour sentir le velouté de ses petites joues gonflées et le douillet de son corps de bébé, recharger mes batteries en me collant à lui, mais je savoure la frustration. Je suis fière de lui laisser le choix de dire non et je suis fière qu’il s’en saisisse.

Maman, au pied du sapin, s’agite et distribue les cadeaux, en guettant nos réactions. En s’excusant de n’avoir pu faire mieux, de n’avoir pu faire plus, c’est pas pareil cette année. Je me demande si elle parle bien de cadeaux. Mon frère a les yeux brillants de migraine mais dit ça va, comme toujours. Comme toujours il est là, sans dire, attentif et mystérieux, insondable. Ma soeur volette de sa discrétion habituelle, disparaît, revient dans un câlin. Le clin d’œil qu’elle m’adresse est plein de la valeur donnée à ces instants fuyants. Elle déguste. Elle surveille au coin Papa dans son fauteuil rouge, planant sur la tribu. Il a le bonnet enfoncé sur les oreilles. La cicatrice. Le côté de la tête brûlée. Les lunettes un peu de traviole, les mains jointes, les jambes croisées. Il dit rien, il flotte. Il absorbe, il savoure. Mon Papa.

Dans cette journée comme les cent précédentes, nous sommes dix dans cette histoire familiale banale. Un, plus un, plus un, plus un… chacun traverse la situation de son regard, avec les outils trouvés, construits, au long de sa vie, bon an, mal an. De nos places, de nos histoires, de nos personnalités, nous composons comme on peut, nous comprenons comme on peut, nous faisons un tout disparate et mouvant, collé, serré, autour du cœur paternel. Nous sommes à la fois ensemble et si seuls. Vivre ses émotions et avec celles des autres, partager et se protéger, trouver le bon endroit, la juste mesure. C’est si compliqué.

J’observe ces derniers jours avant 2024 et me dis contemple ce que tu vois, et ce qui est là : profite des enfants qui grandissent, des surprises encore à faire, des spectacles, des parties de scrabble, des jeux de mots, des câlins, tu peux croire le sorcier!... un pas après l’autre. Rendre intense chaque jour qui passe. On va tous mourir un jour, oui, mais tous les autres, nous allons vivre.