jeudi 26 octobre 2023

Première course

Haut les mains ! m’enjoint le point brûlant de mon dos. 

Haut les mains, toi, tu crois quoi, t’en tirer comme ça ? tu sens la chaleur ? ça fait mal, einh... avance avance, bouge-toi, si tu cours pas je te tue... Cours. COURS !

J’ai couru, que veux-tu.

J'ai couru pour survivre, au début, pour échapper. Sans choix, fallait. Je suis partie si vite que j'ai distancé le point brûlant, j'ai plus senti mes jambes, j'ai plus senti mon souffle, j'ai couru pour m'en tirer...À chaque choc le chuintement menaçant des pensées, comme le vent sifflant d'avant tempête. T'écris plus. Tu nages plus. Tu parles plus, tu pleures plus, tu cries plus, échappe-toi ! le frais du dehors a tout à coup rentré mon chaud dedans, étouffe. Respire. Les mots surgissent et s'entrechoquent. Eprouve l'air étranger renouveler ton système. Laisse-toi faire. Ne crains rien.

Tu sens le moteur changer de rouages C'est plus la peur qui mouline tes jambes, c'est la rage.

Tu vois plus rien, t'es partie, tu fonces. Le souffle du monde entier pousse sous tes pieds ailés. La Terre respire. Tu maîtrises, enfin ! Tu voles. Au ciel tu sais que les oiseaux ne ballet que pour toi, tu cours le nez en l'air, tu cries dedans, t'as besoin, lâcher, lâcher, tu fixes les essaims chorégraphiés que personne ne semble remarquer, ils vont et virent, ensemble, tu files avec eux de toute ta rage et tu sens fondre en toi... le quart de lune accroché au ciel rose fait couler ta colère en sang le long de tes jambes jusqu'à souiller le sol et l'enfoncer... tu te sens tellement plus légère. Tu n'entends que ton souffle qui bat ta poitrine. La toux noire de la ville s'estompe. Tes pas suivent le rythme lent des sons choisis.

Tes pas fatigués, éprouvés.

Tu fermes les yeux, tu te vides et sors de toi, doucement tu te raccroches et tu vois

Le petit rallongé des bras par des branches fatiguées du durant été

Les chiens qui roulent sous les massues volantes

L'apéro d'un samedi d'amis.

Tu vois les cerisiers qui poussent et les boulistes, les rigoles de pluie joyeuse du jour d'hier, les dernières fleurs, cachées, contre la muraille sombre. La fraîcheur qui s'en échappe t'a toujours rassurée, tu aimes courir son long. Elle te protège. Inspire. Expire. Ton corps existe. Il te guide. Tu te sens douce... le cocon volant te ramène chez toi. Tu penses à Papa.

39 minutes et 16 secondes. Tu ouvres la porte et fermes le loquet derrière toi.