dimanche 9 mai 2021

Pandion haliaetus rex

Je plane.

Je domine. 

Je vois tout.

Je laisse peser mon corps charnu sur l'air qui à la fois me porte et me caresse. Mes yeux aiguisés scrutent et percent, rien ne me peut se cacher. Chacune de mes cellules intensément règne sur la totalité du monde.

J'observe. Le ciel vaguement ennuagé, au loin mes fantômes de congénères. La verte vallée, ses taches de moutons, ces quelques maisons perdues d'hommes perdus. Le lac. Chaque goutte de pluie fait jaillir une étoile en écrasant sa surface, intensément l'onde crépite et pétille. Pour moi, je sais.

Dans l'eau des ombres, innocentes et sereines. Elles vont et viennent, et tournent et retournent se croyant invisibles, invincibles... pauvres proies. Je suis là.

Je décide de prendre le vent. J'ordonne aux courants descendants de lentement m'approcher. Pas trop près. Je maîtrise. Je jauge les ballets d'ombres, toutes uniques dans leur synchronisation. Je cherche ma prochaine prise.

La décision se prend en une fraction de seconde: ce sera. Elle. Mon œil se plisse. A moi. Je veux. Rien ne me résiste ni me résistera. Elle. Sa chair est à moi, sa nageoire dorsale est à moi, sa queue est à moi, ses branchies, ses yeux, son cœur sont à moi. Je plonge.

La tête en avant je m'allonge et me déplie, les pattes par devant moi fendent l'air qui me laisse passage... mes plumes s'écartent les unes des autres et imposent toute ma grandeur, je ne demande pas: je prends. L'ombre s'approche et s'éclaircit, son doré m'apparaît, ses flancs innocents seront miens tout bientôt, je tends bec et serres vers le festin, replie mes ailes pour l'assaut final, je joins mes pouces comme une prière rituelle et la fraîcheur de l'eau me parvient... une fraction de seconde, je vois mon reflet et l'avidité dévorante dans ma pupille. Mes crochets meurtriers se crispent et affleurent, s'immergent et l'agrippent. S'enfoncent dans la chair molle. Mon œl vainqueur me regarde encore quand la proie s'agite. S'agite. Je l'ai, je l'emmène. Je déploie mon envergure pour reprendre vol. La proie s'agite. Mes serres agrippent. La proie pèse. Mes serres agrippent. Je mobilise toute ma puissance, de plus près je croise mon regard surpris. Je bats mes ailes. Plus vite, plus fort. L'eau monte autour de mes pattes. La proie pèse et s'agite, et s'enfonce. Moi aussi. Mes serres agrippent, elles ne lâchent pas. Je suis coincé. Mon œil encore se rapproche, mes ailes s'ébattent, l'eau monte. La proie descend. La proie descend. Ses plumes se mouillent et la machine de guerre prend l'eau, en un éclair l'oeil comprend. Trop ambitieux. C'est la fin. Traînée vers le fond par plus fort, elle a perdu l'air qui portait sa gloire ; la proie se noie. Le roi se meurt. C'est fini.